Un jeu de quilles 2
Édito — il y a 1 mois
"C’est Dallas à Washington, et la France a la gueule de bois."
Une bonne gouvernance trace l’horizon, mais encore faut-il survivre à la tempête. Et c’est une épreuve de force pour les dirigeants.
La gouvernance bute sur la nervosité d’un monde où tout peut basculer d’un trait. Dans la coulisse, un chassé-croisé de dirigeants crée une tension dramatique sur le marché.
Un jeu de quilles entre dirigeants
Face au durcissement du monde, la stabilité des entreprises est en jeu ; alors, les conseils d’administration et/ou les actionnaires mettent une pression plus forte pour avoir des dirigeants qui savent diriger et décider dans l’incertitude, sans perdre de temps.
Et l’heure n’est pas à la fête car le diagnostic est préoccupant. Nous pensions pouvoir compter sur une élite brillamment formée, mais sa difficulté à penser contre le système et de manière générale contre elle-même entretient un changement immobile. De plus, la faille systémique de diversité offre un bilan où la bureaucratie et le manque d’agilité sont au premier rang des griefs.
Le marché a perdu patience ; il ne veut plus attendre et voir. Il faut simplifier et alléger les coûts pour innover et entrer enfin dans la course. Cela n’exclut pas de réinventer notre modèle économique et social, mais alors il faudra le faire vite et avec de réelles économies d’échelle pour rester autour de la table du monde. Dans ces conditions, il n’apparaît pas raisonnable de garder les mêmes pour recommencer.
Cohérent, le marché veut de nouvelles têtes : en douze mois, plus de vingt mouvements à la tête de grandes entreprises françaises, dont six parmi les fleurons du CAC 40 ; c’est du jamais vu. Nous dépassons largement le taux habituel de renouvellement (5/10%), sans aucune garantie de durée de mandat.
Pendant ce temps, dans les strates inférieures, le chômage des diplômés monte. Les profils parfaits de type “gendre idéal” déchantent, paniquent et se sentent frustrés, voire attaqués par le système et ses nouvelles règles du jeu. Par exemple, à Stanford, seulement 80 % des diplômés en école de commerce avaient un emploi trois mois après leur sortie en 2024, contre 91 % en 2021 (source l’Express).
L’horizon se tend pour presque tous car la digitalisation du monde challenge de manière musclée la création de valeur. Il faut penser vite, voir loin, anticiper la musique à une semaine, un mois, un an. Ce n’est plus un jeu de quilles. C’est un jeu de go.
L’enjeu est d’inventer demain et ce n’est plus une formule creuse ; il faut le faire vite car le code a changé. Le nouveau monde d’hier se réinvente déjà de force.
L’actualité montre que les modèles se renversent en cascade.
Shein donne le coup de boutoir mortel à une industrie du textile française déjà à l’agonie par manque de vision stratégique ; Facebook et Twitter perdent leur attrait au profit de LinkedIn, qui tente de trouver un équilibre entre chronique professionnelle et branding intimiste.
Pendant ce temps, Open AI affiche clairement ses ambitions : concurrencer l’activité recrutement de Linkedin ; Google essaie de rattraper son retard en intelligence artificielle en refermant une brèche dans laquelle Perplexity & Co s’est engouffré. Enfin Apple réduit drastiquement les marges de l’économie des ads au nom de la protection des données.
C’est un jeu de quilles et, en même temps, un jeu de go ; et ceux qui gagnent sont ceux qui savent jouer les deux parties à la fois.
C'est un jeu hybride et la gouvernance offre du temps d'avance car c'est une matière qui provoque une réflexion dans un temps long pour questionner, analyser et bâtir des hypothèses pour choisir une direction en conscience claire avec une vision globale des enjeux interconnectés.
Le vrai game changer n'est pas l'uniformité – c'est la différence : autour de la table, il faut des esprits qui dérangent, qui voient loin, et qui recoupent les angles morts ; et c'est dans un ping-pong agile que les intelligences se cognent et que les idées apprennent à se polir entre elles pour libérer le génie de l'avant-garde.
Nicole Degbo
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La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.