contrat social : le dialogue #2
La crise du dialogue
Édito — il y a 5 années
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La déflagration de la colère est en soi une crise de dialogue. Elle est une fracture qui peut entraîner une accalmie, une césure ou une nouvelle éruption.
Dos à dos
En ces temps tourmentés, le dialogue semble manquant partout dans le monde. Sur la scène de la diplomatie politique et économique, l’ère du multilatéralisme traverse une rupture de cycles à l’initiative du leadership américain qui appelle de ses vœux le retour au bilatéralisme pour mieux défendre ses intérêts.
La peur est diffuse dans un grand nombre de pays ; les pays développés, à l’abri de guerres sur leur territoire, aux prises avec les limites du capitalisme, ont l’air presque plus tourmentés que les pays en guerre ou en voie de développement pour lesquels les difficultés du quotidien sont une lutte pour la survie ancrée dans les habitudes. Dans ces pays-là, l’optimisme est une vertu salutaire qui murmure que le mieux est inévitable.
Dans les pays développés, les paradoxes cohabitent ensemble jusqu’à l’absurde : l’opulence vs. la sobriété, la cupidité vs. la générosité, la bienfaisance vs. la malfaisance. Le monde est trouble et les intérêts sont plutôt singuliers, au détriment du collectif.
La tension monte et oppose naturellement les peuples. C'est le choc de la mondialisation qui voit désormais se confronter deux camps ; malheureux et bienheureux s’opposent sur le ring du vécu. Et ce sont au moins deux styles qui s’affrontent : les peuples parlent sans filtre et exigent une interlocution délestée de ses lourdeurs ; le temps est au parler cash, mais déjà les mots séparent. La culture est inégale car l’égalité des chances est inégale. Certains sont mal assurés avec un langage circonscrit dans un court catalogue de mots bruts tandis que d’autres ont un champ lexical dont la réinvention est sans fin.
Choc du langage donc qui raconte en filigrane un choc de vie. Une frontière silencieuse s’élève entre les pessimistes et les optimistes. Ce mur qui grandit témoigne du niveau d’incompréhension et d’inquiétude du monde qui vient. Sans tout à fait comprendre les tenants et les aboutissants de cette révolution digitale dont les contours sont intangibles, les pessimistes sont déjà inquiets et à raison. La peur invitant au repli, ils se mobilisent pour protéger ce qui reste. Mais que reste-t-il au juste ? Des nations fracturées par le manque de courage politique qui a invité, années après années, à la procrastination de l’action. Des nations en défiance car la pédagogie a été manquante. Des nations effrayées car certains pays montrent un appétit hégémonique sans limite et dont l’éthique est à géométrie variable.
Il reste des individus qui ne veulent pas devenir des marchandises. Il reste des peuples qui agitent des plaies à vif dont la douleur répétée est venue diffractée leur patience, leur écoute, leur compréhension et leur bienveillance.
La révolte prend alors plusieurs visages ; elle est une rupture du silence enragé dans lequel s’étaient emmurés les laissés-pour compte de la mondialisation ; elle est un vote de rupture à la faveur du populisme ; elle est parfois une tentation au retour à l’autorité politique pour remettre de l’ordre ; elle est aussi un désordre anarchique qui exprime des désirs contraires avec un degré de violence hors de contrôle ; elle est une remise en cause de l’autorité et, plus spécialement, une volonté de renversement de la domination au profit des peuples qui refusent un horizon paupérisé.
Face à face
La fragmentation de la Nation devient alors une remise en cause mutuelle des désirs. « Changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde » disait Descartes. Et bien justement, personne ne veut renoncer à ses désirs et chacun juge l’autre partie. Tout est ausculté, interprété, sur-interprété mais avec le filtre des biais de confirmation pour justifier la stabilité de sa position. C’est le choc de deux mondes, c’est une Nation fracturée, c’est défiance contre défiance. C’est la crise donc, avec ses paradoxes. Ce sont des messages incompris, des émetteurs qui peinent à se faire comprendre et des récepteurs qui fustigent l’autisme des émetteurs. Et, il y a peu d’adultes autour de la table pour apaiser les esprits et trouver le bon mode de communication.
C’est dans ces moments-là que les fondamentaux sont essentiels : le respect, la reconnaissance, l’estime, l’utilité. Ce sont des besoins simples, mais primordiaux. Malheur à celui qui est manquant de tout cela, mais malheur encore plus à celui qui est désigné comme responsable de ses manques car alors la colère ivre de fureur. Il faut entendre la honte de ceux qui se sentent inutiles ou invisibles ; il faut écouter la peur qui s’exprime souvent dans la rage ; et il faut prendre garde au mépris dont les fruits seront toujours pourris.
Ces affects hystérisés ne céderont au calme qu’après une phase d’authenticité brute, chacun pouvant alors laisser s’exprimer les émotions tourmentées ; exprimer pour conscientiser donc et dire sa détresse et en même temps ses aspirations ; écouter et entendre pour sortir de l’impasse ; se considérer mutuellement pour dépasser les blocages réciproques, parler simplement et directement sans porter un masque. Se mettre à nu, en confiance, en dépit de la défiance, pour avancer et sortir du triangle dramatique qui consiste à désigner la victime, le persécuteur, le sauveur. Faire fi de ses attributs pour ne voir que des adultes soucieux de dépasser les malentendus et d'ouvrir enfin le dialogue.