Le monde en 2040
Code rouge | Coalitions 2/3
Édito — il y a 2 années
❛Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l’autre.❜ Marc Aurèle
Le problème est que tout va pour ainsi dire changer ; les défis actuels et futurs seront sans conteste une épreuve pour nos imaginaires convaincus que beaucoup de choses ne peuvent pas changer ou pire encore doivent revêtir les habits du passé.
Un monde digital
Au cours des quinze à vingt prochaines années, la digitalisation du travail va détruire près de neuf millions d’emplois existants et en modifier de manière radicale environ un tiers. D’ici 2025, près de 97 millions d’emplois seront créés et nous assisterons au déplacement de 85 millions d’emplois existants. Cela va toucher tous les métiers, incluant les hauts revenus ; autrement dit, presque personne ne sera à l’abri du remplacement par une machine. Dans ce cadre, l’agenda des mutations sera crucial car cela posera la question des adéquations poste/profil à grande échelle, des transitions professionnelles, du recrutement des talents, de la formation professionnelle et du revenu minimum pour vivre. Il va sans dire que ces sujets auront un impact sur l’accès à l’emploi, la durée du chômage et la formation tout au long de la vie. Cependant, la démographie sera également un sujet d’arbitrage qui aura inévitablement une influence sur la politique migratoire. Et les pays qui auront eu un comportement honorable sur le terrain des migrations seront les mieux servis. Certains pays auront besoin de ressources plus ou moins qualifiées pour exercer des métiers scientifiques, intellectuels, humains, manuels, etc. dans des secteurs pénuriques sur le plan démographique et en forte croissance sur le plan économique. Et il s’agira aussi de prendre en compte les gains de productivité, les pertes d’emplois et les baisses de revenu relatifs à la numérisation du travail qui, à certains égards, pourra jouer un rôle régulateur des migrations.
Ces sujets vont impliquer un travail de prospective de la part des entreprises et de l’État pour coordonner des actions communes et cohérentes pour mettre en perspective la bonne stratégie à adopter de manière globale. Voilà pourquoi les débats actuels sur l’immigration ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux.
En 2040, nous serons 9,2 milliards d’humains ; l’Afrique subsaharienne verra sa population presque doublée d’ici 2050 dont près d’un tiers aura moins de 15 ans, tandis que l’Europe, le Japon, etc. verront leur population vieillir considérablement. Ces perspectives obligent à repenser de manière mondiale l’éducation, la santé et l’urbanisation des pays en voie de développement, par ailleurs menacés par le réchauffement de la planète et exposés de par leur vulnérabilité économique. Contenir les vagues migratoires ne pourra pas juste être réductible à une politique d’accueil dans différentes parties du monde. Ce sujet obligera à une réflexion planétaire entre des organisations internationales telles que l’UNESCO, Médecins sans frontières, et les entreprises internationales ayant des filiales dans ces pays. Il est probable qu’il faudra inventer une protection sociale minimum pour les salariés locaux et une obligation d’éducation pour les enfants de ces salariés afin d’élargir l’assiette de citoyens ayant un niveau d’éducation minimum et suffisant pour comprendre le monde et faire des choix en étant si possible en bonne santé. Il ne faut pas voir cela comme un acte de solidarité, mais comme une politique nouvelle, humaine et créative de lutte contre l’immigration.
Dans différents domaines, nous allons devoir ériger des normes internationales nouvelles pour que le monde de demain soit soutenable.
Un monde en état d’urgence
Ces enjeux démographiques, économiques, technologiques, politiques et climatiques vont nourrir un stress sans précédent qui va aggraver singulièrement la santé mentale des gens et poser la question de la dépendance, du soin et des hospices, impliquant ainsi des solutions nouvelles dans le domaine des assurances. En effet, telle que conçue aujourd’hui, l’assurance ne saura plus faire face à l’avalanche de sinistres liés à ces changements. Les coûts liés à la santé mentale pourraient dépasser les 16 000 milliards de dollars selon le rapport de la CIA qui décrit le monde en 2040. En assurance non-vie, le réchauffement de la planète, la fonte des glaces, l’élévation du niveau de la mer (+ 7 à 36 centimètres d’ici 2040), les vagues de chaleurs intenses, les inondations, les cyclones, les vagues de sècheresse deviendront à terme inassurables. L’assurance devra donc sortir de son rôle actuel pour aller davantage sur le terrain de la prévention, en collaboration avec les industries pour juguler les drames modélisables. Le secteur assurance va devoir se réinventer, pour ne plus seulement indemniser, réparer, mais prévenir de manière systémique les catastrophes ; cela exigera un positionnement nouveau sur des sujets tels que la pollution de l‘air et de l’eau qui a un impact sur la santé, la protection de la biodiversité qui a un impact sur la sécurité alimentaire, le développement des énergies renouvelables pour ralentir le réchauffement de la planète qui menace dangereusement l’assurabilité des biens et des personnes.
Les enjeux climatiques vont continuer de déstabiliser les nations qui vont intensifier la compétition pour l’hydrogène vert, la construction de batteries électriques (lithium), le cobalt, les terres rares. Ces mêmes sujets vont bousculer les pétro-États et, de fait, bouleverser l’ordre géopolitique actuel. Et le développement de monnaies numériques va achever de perturber des équilibres déjà fébriles en fragilisant les politiques monétaires (taux de change, etc.).
L’imagination au pouvoir
Les intérêts des entreprises, des États et des organisations internationales ou pas, gouvernementales ou pas, ne seront pas toujours alignés, mais la violence et la densité des transformations à opérer va obliger les uns et les autres à faire des compromis, même parcellaires, pour résoudre certains problèmes, en cohérence avec une communauté de valeurs communes. En effet, il y a fort à parier que les tensions sino-américaines vont perdurer et contraindre le reste du monde à faire des choix sociétaux, politiques, internationaux, technologiques et militaires sur des sujets multiples pour éviter l’effondrement de certaines zones du monde, stabiliser les marchés domestiques, contenir les crises mondiales (finance, sanitaire, climat, politique, technologique, etc.) et endiguer le terrorisme ; ce faisant, le multilatéralisme sera redéfini dans ses termes tandis que le bilatéralisme va prospérer, affaiblissant ainsi la concorde mondiale.
La gouvernance sera un levier puissant pour inventer des partenariats publics - privés suffisamment agiles et efficaces pour face aux nouveaux périls. Et pourquoi pas réinventer l’ONU, l’OMS, l’OMC, l’OTAN ou créer de nouvelles institutions avec de nouveaux paradigmes, des règles éthiques intelligentes, des normes exigeantes et pragmatiques entre alignés ?
La capacité des États, des entreprises et des gens à imaginer des réponses créatives et performantes pour tenter d’influencer le monde qui vient sera le nerf de la guerre.
Nicole Degbo
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La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.