Post-covid
Civiliser l’information 7
Édito — il y a 3 années
Faire du contenu pour l’audience ou faire de l’audience avec du contenu ?
Nos yeux sont rivés sur les élections américaines dont nous sommes impatients de connaître l’issue : Donald Trump sera-t-il réélu ?
Cette présidence-là, juste après celle de Barack Obama montre d’une manière saisissante la fragilité de la démocratie. Voilà bientôt quatre ans que les Etats-Unis s’entre-déchirent violemment. L’ère Trump a montré que la vérité pouvait rationnellement être un fait alternatif et des journaux ont choisi de lui emboîter le pas ; la suite est logique : les électeurs, les citoyens choisissent désormais la vérité qui leur plaît, sans se soucier des faits. Or, il n’y a rien de plus important dans une démocratie qu’un électorat bien informé.
De plus, l’influence des réseaux sociaux nous met face à une dystopie : la manière dont les informations sont distribuées sur les réseaux sociaux accentue l’affrontement des radicalités, au mépris de la qualité du débat et surtout de la vérité. Les gens ne s’écoutent plus ; ils ne sont plus attentifs aux arguments contraires ; ils ont juste décidé que leur réalité est la vérité. La vindicte populaire gronde pour de multiples raisons, mais peu de personnes savent expliquer avec raison pourquoi ils accusent, pourquoi ils sont insatisfaits, pourquoi et comment notre démocratie pourrait tout simplement faire mieux.
Ce constat est la faillite du modèle journalistique actuel ; c’est la faillite de choix éditoriaux et/ou programmatiques qui flattent la concupiscence populaire ou pire encore remuent la plaie du ressentiment qui diffracte la société jour après jour. Et, cela entraîne des décisions désastreuses : les citoyens ne votent plus ou mal ; les électeurs ne sont plus exigeants avec les acteurs politiques qui se disputent tous le génie de changer les choses. Le niveau des présidentiables s’effondre et nous en sommes tous responsables, mais il est certain que nous méritons mieux et c’est un fait.
Nous pouvons y arriver, mais il faut que les médias acceptent de reconquérir le quatrième pouvoir. Les médias doivent assumer la charge de leur responsabilité dans la tenue démocratique. Nous devons accompagner la transformation des médias et inventer un nouveau modèle d’information et de divertissement qui respecte notre intelligence. Nous devons convaincre le système qu’une bonne émission n’est pas nécessairement impopulaire, au contraire.
Nous devons créer des médias articulés autour de la valeur intégrité pour reconquérir les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs.
En dépit de la fracture de confiance, les journalistes doivent croire plus que jamais que rendre compte est un métier respectable. Et pour ce faire, ils doivent participer à la vitalité démocratique en stimulant des débats dignes d’une grande nation ; faire cela implique au moins de bien traiter l’information.
Alors, comment traiter l’information de la meilleure façon possible et comment faire pour que les gens s’y intéressent ?
Comment faire cela sans nourrir une obsession pour l’audience (incluant les revenus publicitaires) et dans le respect absolu de chaque citoyen, même si le peuple rassemble plusieurs catégories et par capillarité des centres d’intérêt différents et un niveau de culture à géométrie variable ?
Il est évident que le monde a changé et change encore dans un rythme accéléré, mais l’éthique de l’information reste inchangée. Nous voulons des médias indépendants ayant un regard neutre sur l’actualité et suffisamment intelligents pour se nourrir de la diversité, dans sa dimension la plus large pour nous offrir à chaque moment l’image d’une grande rigueur journalistique.
Nous sommes conscients que l’information peut informer, éduquer et/ou divertir, mais l’information n’est pas un matériau ordinaire. Nous ne pouvons négliger l’information car nous savons tous quel impact elle a dans l’opinion ; nous ne pouvons traiter l’information avec légèreté car elle influence l’opinion générale dès lors où un lien de confiance est établi ; le cas échéant, les gens se tournent vers d’autres sources d’information et cela met concrètement la démocratie en péril.
Les journalistes vont devoir revenir aux sources et (re)questionner leur regard sur le monde, sans mimétisme et sans corporatisme stérile, parce que ceux qui font vivre les médias sont les clients : les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs.
Les journalistes vont devoir arbitrer les informations utiles et nécessaires, organiser une argumentation exigeante et mieux placer les sujets dans leur contexte parce que nous le valons bien.
Pour écouter une histoire, nous allons au cinéma, regardons une série et nous pouvons lire un livre. Lorsque nous choisissons un média, c’est pour comprendre l’histoire autour d’un fait, la vraie histoire, pas une histoire manipulée consciemment pour faire le buzz, créer des clashs ou rendue médiocre par paresse intellectuelle.
Y-a-t-il véritablement deux versions de l’histoire ? Voilà une question qu’on entend de moins en moins tant les sujets sont monocordes d’un média à l’autre, comme si investiguer et porter un regard différent sur un fait était prendre un énorme risque.
Notre nation mérite d’avoir des médias qui sont un point d’ancrage moral pour nous éclairer avec intégrité.
Ainsi, la crise de modèle rencontrée actuellement par l’ensemble des médias devrait les inciter tous à questionner leur ligne éditoriale avant de questionner leur modèle économique car au bout du compte, ces enjeux sont interdépendants. Et sur le long terme, le modèle gagnant est celui qui privilégie de faire de l’audience avec du contenu.