Organisation
Le courrier n'est pas arrivé
Publications — il y a 6 années
Temps de lecture: 3 minutes
Hard things are hard & simple things are simple.
Selon la personnalité de chacun et la nature de l’intimité avec le destinataire, certains privilégient l’oral et d’autres l’écrit.
Qu’est-ce que l’écrit désormais ? Le mail ? Le réseau social ? L’application ? La lettre ?
La lettre, cette traditionnelle et presque ancestrale habitude épistolaire qui témoigne d’un engagement singulier ; prendre le temps d’écrire un mot, une lettre informatique - mais manuscrite c’est encore mieux -, penser, coucher ses pensées, prendre soin de choisir le papier et l’enveloppe. C’est tout un cérémonial qui se perd et désintègre à sa manière les liens humains.
Il faut se souvenir de la hâte et de la joie que pouvait représenter l’attente d’une lettre ; il suffit de fermer les yeux et de se rappeler sa propre vie (selon la génération) ou de réveiller des souvenirs de cinéma. Le guet du facteur, la surveillance de la boîte aux lettres ; en ces temps presque anciens, la lettre signifiait quelque chose. Elle était le lien avec l’autre, l’aimé(e), le monde ; elle était porteuse d’informations, de bonnes ou de mauvaises. Elle était la vie.
La lettre a donc ce quelque chose de presque charnel, sinon romantique qui s’est désincarné avec le temps, au profit de la modernité. Mais, quelle modernité ? Il n’est pas rare désormais d’entendre parler de pollution des messageries pour cause d’invasion : trop de mails tue le mail. Ainsi, mécaniquement un tri s’opère car il faut parer au plus pressé. Le résiduel est victime de procrastination avant d’être condamné à l’abandon.
Alors comment échanger ?
Les temps de vie entrainent la mobilité des uns et des autres, les réunions condamnent le quotidien à être acteur ou spectateur et parfois les deux. Donc, les messageries vocales règnent en maître.
La lettre peut être un choix premier ou un dernier refuge, mais alors voilà que le chemin du courrier devient un labyrinthe administratif. Oui, le courrier voyage dans les méandres des processus, particulièrement dans les grandes entreprises.
Ce courrier voyageur trouve tantôt son but ou connait tantôt un voyage sans fin. Sans fin, car il n’est pas rare d’entendre cette phrase étrange : "Ah, l’entreprise est grande, donc le courrier met une vie à arriver ; bref, le courrier n’est pas arrivé."
La Poste propose une trajectoire en une journée, voire deux, mais alors, que se passe-t-il ?
La taille de l’entreprise démultiplie les intermédiaires ; le courrier passe de main en main, de casier en casier, jusqu’à sa destination ou alors son errance continue. Le courrier peut finir dans un tiroir, sur une table et finalement à la poubelle. C’est étrange de perdre des courriers dans une entreprise. Comment penser que la taille d’une entreprise puisse entraver la distribution du courrier ?
Vient alors la question des processus. Quelle peut bien être la nature des processus qui organisent le voyage infini d’un courrier ? Comment une tâche apparemment si simple peut devenir si compliquée, laborieuse et désengagée ? Comment des processus peuvent priver les uns et les autres de recevoir un courrier parfois porteur de bonnes nouvelles, au-delà de la simple transmission d’informations ?
Au-delà de ces questions qui restent sans réponse, il est étonnant d’entendre l’impuissance tranquille avec laquelle, la majorité sinon tout le monde, semble accepter cet état de fait. "Il arrive que des courriers n’arrivent pas." Et voilà, comme si rien d’important n’était attendu ; étrange et en même temps, intéressant de prendre le temps de penser à ce que cela dit d’un dysfonctionnement accepté alors même que la vocation d’une lettre est d’informer ou de tisser des liens professionnels, commerciaux, affectifs et caetera.
Cette résignation acquise montre un détachement curieux qu’il s’agirait d’interroger. Comment pouvons-nous collectivement abandonner face à une tâche si simple : distribuer une lettre qui témoigne, rend compte et tisse une toile humaine ?
Parce qu'en définitive, il s'agit de questionner la défaillance face à des choses moins simples ; et alors, l’équation devient le courrier vs. le reste. Et justement, le reste ?