
Gouvernance
Une crise évitable
Édito — il y a 6 jours
Nous pourrions enjamber ce moment de brutalité et de désordre inouïs et éviter ainsi cette crise qui pointe droit sur nous.
Les menaces paralysantes
Près de cinq ans depuis la covid, le « Grand Soir » n’est pas arrivé ; et c’est finalement Donald Trump qui va provoquer de part en part un retournement planétaire à partir d’un renversement des valeurs dans le monde entier.
Après la covid, il y a eu une accélération de la transformation digitale, mais en dépit de la théorie, l’idée même de réinventer les modèles de croissance était jusqu’à présent en panne. La vague de disruption s’est arrêtée et le marché a pensé, à tort, que les pronostics ne seraient pas si terribles. À bien y regarder, les innovations fracassantes pendant cette période sont l’incursion de ChatGPT et tous les autres outils d’intelligence artificielle générative dont Perplexity qui est en train de disrupter une des activités de Google.
Aujourd’hui, les droits de douane de Donald Trump obligent l’Union européenne à bousculer son schéma de pensée. Il n’y a ni génie, ni volontarisme pour l’essentiel ; la majorité des entreprises, l’État en particulier, et l’Union européenne avancent à marche forcée alors que Donald Trump est dans l’équation avec certitude depuis novembre dernier.
En France, nous étions occupés à censurer le pays, à fomenter la prochaine grève et à agir sans empressement, trop pressés de nous glisser dans un « attendre et voir » mortifère. Nous restons vulnérables à cause de la crise sanitaire, mais aussi des gilets jaunes, de la crise contre les retraites, de l’inflation, de la guerre en Ukraine, de la dette, et de manière générale de la discorde nationale et des transformations manquées, ratées, inachevées, évitées et impensées.
Notre énergie semble bruyante, mais comme immobile ; nous gesticulons, nous râlons, nous fustigeons, mais la peur gagne tranquillement nos esprits sur fond de populisme tranquille.
Un grand nombre d’entreprises sont fragiles de n’avoir pas fait leur transformations rapidement après la covid, en dépit de cet évènement aux airs d’effondrement. Il y a eu une sorte de relâchement en tension ; pendant les confinements, l’enjeu était de sécuriser la trésorerie. Puis, les entreprises ont tenté de récupérer leur souffle, tout en continuant de perdre l’engagement des collaborateurs (7% selon Gallup).
Désormais, la peur gagne tant l’incertitude est partout ; le monde est une lutte et c’est un autre monde qui naît sous nos yeux et notre impréparation agit comme un tic-tac hors de contrôle.
Patrick Pouyanné, P-DG de Total, a déclaré récemment « Mon vrai problème aujourd’hui dans le domaine du numérique et de l’IA, c’est qu’on n’a pas de champion européen. » L’automobile, l’aéronautique et l’industrie en général sont en crise. Ce sont des victimes directes de la guerre économique voulue par Donal Trump, mais pas seulement. La plupart des secteurs sont touchés par l’apathie nourrit par la menace et renforcée par l’absence de transformation fondamentale.
Notre manque de vision contraste avec l’approche chinoise qui, au lendemain, de l’annonce des « tariffs », riposte avec une plainte à l’O.M.C. (Organisation Mondiale du Commerce), 34% sur les importations américaines, des sanctions commerciales contre vingt-sept entreprises américaines et le blocage de l’export des terres rares ; c’est significatif, rapide et précis.
L’Europe, de conclave en conclave, va se disputer encore, encore et encore avant de se mettre finalement d’accord sur une contre-mesure qui n’effraiera sans doute personne car chacun oubliera la force de l’Europe pour penser à son territoire. Et d’ailleurs, la réponse française sera fragmentée ; les entreprises les plus exposées vont probablement structurées une réponse solitaire tandis que d’autres vont accepter de s’aligner derrière la position de l’État qui préconise à court terme de geler symboliquement les investissements. Les entreprises percutées violemment par les nouveaux droits de douane sont tournées vers leurs seuls intérêts et ne voient pas que c’est très clairement ce qu’espère Donald Trump : tout fragmenter, tout bilatéraliser. Les uns et les autres perdent de vue que notre force est dans l’union ; c’est ce qui nous sépare du Royaume Uni qui se retrouve seul pour négocier et se voit menacer de représailles commerciales si le free speech à l’américaine ne prend pas ses quartiers dans tout le pays.
Notre (absence de) vision est, dans ce contexte, un facteur aggravant.
Les opportunités critiques
La transformation est un impératif, mais cela prend du temps. Or, la société change de visage de plus en plus vite ; aussi, la stase devient une faute.
Culturellement, nous avons la folie des sondages, des baromètres, et tout autre diagnostic qui nous éloignent de l’action, sans doute par goût pour la zone de confort et notre timidité à voir dans le risque une opportunité. Pourtant il est établi que les choses qui en valent la peine prennent du temps ; c’est difficile, inconfortable, et le résultat est incertain, mais le changement est une assurance-vie.
Nous sommes inévitablement dans une phase de résilience brutale ; et c’est vertigineux car personne dans l’Union européenne ne semble prêt ; pire encore, aucun pays ne semble décidé à s’aligner sur la position de tous ; tragique aussi, la France semble partie pour être fracturée.
Y-aura-t-il une position française ? Il est légitime de poser la question.
Quant à Christine Lagarde, Présidente de la BCE (Banque Centrale Européenne), elle a parlé à plusieurs reprises de « moment existentiel » pour l’Europe et en appelle à une « marche vers l’indépendance » pour mieux maîtriser notre destin économique face aux pressions extérieures, sans nécessairement rendre coup pour coup car elle prévient que la guerre commerciale sera perdant - perdant.
Ce dernier point relève toutefois, et à mon sens, plus de la grammaire de la négociation et du management du rapport de force que de la rationalité économique des décisions ; par ailleurs, voyons la manière dont la Chine va rééquilibrer sa position suite à sa riposte on ne peut plus ferme.
Nous sommes bel et bien face à un nouvel ordre mondial ; le premier mandat de Trump a pilonné la notion même de multilatéralisme ; le second mandat de Trump éparpille la mondialisation façon puzzle.
Les entreprises sont percutées par la politique et pourtant, elles devraient garder le cap sur leur transformation. Le changement n’attend pas et les enjeux restent plus que jamais d’actualité : fracture climatique, capitalisme responsable, nouveau modèle économique, contrat social, digital, innovation, inclusion, reskilling, leadership moral, etc.
Il reste cinq ans d’ici 2030 pour réussir les transformations sachant qu’une transformation en entreprise commence à créer des effets larges et durables en moyenne au terme de cinq ans. Voilà pourquoi, en dépit du chaos mondial, il faut continuer sans trembler, en ajustant la mouture de certains programmes et en réévaluant les coalitions pour aller vers une autre forme d’intelligence et de créativité plutôt que de s’inscrire dans le mouvement naturel et conformiste de la prévalence d’un certain establishment du conseil.
Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle et il ne tient qu’à nous d’embrasser le changement avec des paradigmes plus agiles, plus efficaces et plus curieux pour ouvrir de nouveaux espaces de marché.
Et si nous faisions cela, tous ensemble et de manière disciplinée, nous pourrions enjamber ce moment de brutalité et de désordre inouïs et éviter ainsi cette crise qui pointe droit sur nous, tout en étant évitable, car la réalité est que cela dépend de nous.
Nicole Degbo
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La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.