Individuation
Nicolas Hulot : la démission, de guerre lasse
Édito — il y a 6 années
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Comme n'importe quel Français en manque de sens dans son travail et fatigué par ses renoncements, Nicolas Hulot a préféré démissionner.
« De même que le corps sans esprit est mort, de même la foi sans [les] oeuvres est morte » (Jacques 2.26). Cet extrait de la Bible illustre sans doute assez bien l’état d’esprit de Nicolas Hulot qui, de guerre lasse, a quitté le Ministère de la Transition Écologique.
Voilà un ministre passionné qui, l’engagement chevillé au corps, a cru désespérément au sens de sa passion pour sauver ce bout de planète. Voilà un ministre qui a pensé que la force de son expertise saurait acculturer le pays à l’urgence d’une maison qui brûle et qu’on sauve in extremis à coups de seaux d’eau. « Je ne veux plus me mentir », a-t-il déclaré au micro de France Inter, mardi 28 août. Voilà une phrase forte qui déroute, attriste et en même temps pousse à la réflexion.
Passion et quête de sens
À l’instar de la légion de travailleurs qui démissionnent chaque jour et c’est encore plus vrai pour les nouvelles générations, il semble pointer du doigt un manque de sens, une forme d’insécurité, un management peu inclusif des enjeux de sa mission et en définitive une reconnaissance impossible car au bout du chemin, n’existe que la défaite.
Il a tout simplement refusé son impuissance. Il a refusé de continuer sans la foi, il a refusé de poursuivre en s’accommodant d’une politique de petits pas, ces petits renoncements du quotidien qui organisent le glissement de la droiture.
Et en même temps, peut-on dire que la passion peut faire l’économie du sens ? La réponse est non. La passion s’en nourrit précisément. Elle a besoin d’avancer avec une énergie, un engagement et un brin de folie. Il faut être « passionnément cinglé », mais avec rectitude.
Se battre contre son équipe
Appartenir à une équipe qui ne partage ou ne comprend les enjeux de sa mission est une fatigue du quotidien. La force de conviction nécessaire pour organiser l’adhésion indispensable à l’exécution est tout simplement éreintante. Elle donne presque le sentiment de se battre contre son équipe, pour le bien commun. Elle donne assurément le sentiment d’être une singularité au milieu d’un collectif qui gratte le poil de l’insensé pour penser droit. Elle fait se sentir tellement à part qu’elle effrite le sentiment d’appartenance au point de se sentir en dedans - en dehors.
Cette fracture crée une insécurité émotionnelle et matérielle car ce qui est acquis n'est justement rien. Il faut se battre pour tout, batailler, quémander, supplier presque l’évidence et même, au son de la victoire, le coeur reste serré, las de tous ces combats inutiles car le collectif manque de conviction pour mener bataille avec les moyens nécessaires, ceux adaptés à l’ambition annoncée.
Dur dur de vivre ce quotidien car il faut alors faire le deuil de ce qui nourrit l’endurance des travailleurs : la reconnaissance. Dans ce contexte, elle est quasi absente car la fragilité des succès donne inévitablement ce goût de défaite qui prospère au gré du temps, jusqu’à l’amertume. Et, précisément, pour ne pas se laisser corrompre par les compromis, pour abandonner face à l’impuissance, parfois la seule issue est le départ.
Le départ des êtres singuliers est souvent une perte pour une équipe. Régulièrement, l’épopée est soulignée, les victoires sont égrenées par ceux qui, aux commandes, ont eu le sentiment d’offrir ce qu’il fallait, de soutenir à la mesure des attentes ou du moins au maximum des possibilités donc techniquement pas de faute, juste un défaut de passion et/ou d’urgence partagée.
Ce choc de sens entraîne la diffraction de l’engagement, souvent jusqu’à un point de non-retour : la démission, de guerre lasse.
Nicole Degbo
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Article publié dans Les Echos, à lire ici.