#AskLaCabrik

*
*
*
*

Les informations recueillies via ce formulaire par La Cabrik ont pour finalité le traitement de votre demande d’informations. Tous les champs sont obligatoires pour traiter votre demande. Dans le cas où, ils ne seraient pas remplis, votre demande ne pourra pas être traitée. Conformément à la loi Informatique et libertés, vous disposez d’un droit d’interrogation, d’accès, de rectification et d’effacement de vos données personnelles, ainsi que d’un à la limitation et d’opposition au traitement de vos données. Vous pouvez exercer ces droits en formulant une demande à l’adresse suivante contact@lacabrik.com. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre politique de protection des données personnelles accessible via l’onglet Conditions Générales d’Utilisation de notre site.

Dialogue contradictoire - Gouvernance - Stratégie - Raison d'être - Dirigeant - Purpose - Sophie Bellon - Sodexo -

Gouvernance

L'illusion du contradictoire

Édito — il y a 4 années

Qu’est-ce qu’un bon dialogue ?

La réponse paraît simple, mais à bien écouter les uns et les autres, il n’en est rien.

Le dialogue, c’est d’abord énoncer quelque chose à l’adresse d’autres ; et précisément, quelle est la nature de ce quelque chose ? Est-ce une parole légère, sincère, sérieuse, empreinte de gravité ? Quel est le sérieux du propos et dans quelle mesure celui-ci souffre-t-il la moindre contradiction qui serait alors vécue comme une opposition, voire une confrontation ? 

Tout est là : quelle est l’intention consciente ou inconsciente de celui qui parle ? Quel message envoie-t-il à son auditoire ? Celui de l’écoute, de la discipline, de la loyauté, de la liberté, de l’authenticité, du courage ? Chacun est alors libre d’interpréter l’espace disponible ou d’en faire fi. 

C’est ce qui se joue dans les entreprises et plus spécialement entre décideurs ; c’est ce qui signe la qualité du dialogue contradictoire, levier fondamental d’une bonne gouvernance. Comment bâtir une bonne stratégie sans dialogue abrasif ? Comment débusquer ses angles morts sans que la pensée ne soit opposée ? Comment embarquer en dirigeant solitaire ? Comment créer la confiance et l’autonomie nécessaires aux équipes sans responsabiliser ? Enfin, comment produire du sens sans en donner ? 

Bien-entendu, tout n’est pas réductible à la parole, mais elle est le vecteur de ce qui fonctionne et de ce qui dysfonctionne. 

Prenons l’exemple de la raison d’être ; cette notion semble avoir été découverte à l’occasion de la Loi Pacte. Subitement, le purpose devient tant et si bien le maître-mot que de nouveaux mots émergent, du "brand purpose", jusqu’au "purpose washing". C’est comme si la découverte de cette vieille notion allait résoudre le besoin de sens des salariés, des clients et du marché. C’est comme si l’énoncé de la raison d’être était une promesse de bien agir, comme si la communication après des débats (trop) rapides étaient une preuve de l’implication des dirigeants. 

Et c’est là que les faiblesses de la gouvernance d’un grand nombre d’entreprises sont visibles. Cet empressement dans la raison d’être rapidement pris en charge par de multiples organisations de conseil, qui ne connaissaient pas non plus nécessairement le concept avant son apparition récente dans le dictionnaire de l’entreprise française, en dit long sur la qualité du dialogue dans les organisations. Combien de raison d’être prêtent à sourire tant elles sont dépossédées de tout sens réel et performatif ? Combien d’alignements de mots forts, mais vagues mis bout à bout pour sanctuariser une raison d’être qui a été si mal pensée et mal débattue qu’elle ne va bouleverser l’entreprise ni dans son modèle économique et social, ni dans sa gouvernance ? Combien de temps le marché sera dupe, si tant est qu’il le soit déjà ? 

C’est une des raisons pour laquelle il nous faut ardemment saluer la récente position de Sophie Bellon, Présidente du Conseil d'Administration de Sodexo, sur le sujet ; à travers ses mots, elle montre qu’elle a compris ce qui se joue avec la raison d’être ; elle parle avec force des enjeux. Elle rappelle que trouver sa raison d’être exige du temps et surtout que cette question relève quasiment de l’existentiel ; elle rend compte de leur choix d’y aller à pas feutrés, d’y consacrer du temps ; elle dit littéralement souhaiter "engager une vraie coconstruction au sein de l’écosystème pour penser, donc peser l’identité de l’entreprise, questionner le sens de son action, mettre en mots sa singularité, traduire son ADN forcément unique, écrire son récit collectif porteur de sens dans la durée." Elle poursuit en expliquant que cette démarche requiert "de prendre du recul, pour mobiliser ensuite toute l’entreprise dans une dynamique de progrès sur ces sujets où les obligations de moyens réels priment sur les promesses de résultats, par nature incertains." Elle conclut presque en affirmant que la raison d’être traduit pour elle la vocation de l’entreprise (Les Echos, 21 janvier 2020). 

Voilà l’exemple d’une entreprise à contre-courant de l’agitation actuelle sur le sujet. Voilà le leadership d’un dirigeant qui insiste à affirmer que le sujet est exigeant et ne mérite pas d’approximation et/ou de faux-semblants. 

Pour en revenir à toutes ces raisons d’être à l’énoncé creux en dépit de mots bien choisis, elles traduisent soit une incompréhension de l’enjeu réel de la raison d’être, soit la croyance d’un pouvoir magique dévolu à la communication ou encore l’illusion du contradictoire ; elles peuvent en effet raconter l’histoire d’un débat qui ne s’est pas véritablement produit ou mal ; elles peuvent ici souligner cette sempiternelle pensée de groupe qui anesthésie le dialogue et entraîne le collectif sur de mauvais chemins avec la conscience intérieure, mais silencieuse de l'erreur, de peur d’être non seulement solitaire, mais blâmée. Elles sont également peut-être le fruit d’un travail collégial mal piloté ou alors à la va-vite, basé sans doute sur un énoncé mal compris et de manière certaine sur des enjeux mal appréhendés. Sinon comment l’expliquer ? 

Cette séquence confirme la célérité avec laquelle trop d’entreprises pensent le futur de leur entreprise ; elle illustre la faiblesse du temps réellement accordé à la stratégie de l’entreprise. Mais, elle murmure aussi le danger qui se prépare si les entreprises concernées continuent de fonctionner ainsi car, en face, et dans un grand nombre de secteurs, nous avons des concurrents qui pensent et se disputent avec génie. 

Il s’agit de nous rappeler que dialoguer n’est pas une perte de temps ; au contraire, la puissance du dialogue contradictoire repose sur sa capacité à générer des idées par la conversation et le débat, à prendre des décisions intégratives combinant des idées disparates, voire opposées, enfin à tester et à expérimenter par la recherche, la réflexion et l’adaptation rapides. Le dialogue abrasif produit de l’agilité, de la diversité, du non conformisme et permet de trouver le chemin pour résoudre des problèmes dans la durée. C’est dire la menace de l’illusion du contradictoire…

 

Nicole Degbo 

Partager

Le progrès prend du temps.

Barack Obama