Entreprendre
L'audace des sensations
Édito — il y a 5 années
Temps de lecture: 3 minutes
Entreprendre depuis 3 ans est un savoureux vertige.
Joie
1095 jours, c’est fugace et, en même temps, une éternité.
Le temps d’un entrepreneur est diffus ; les choses s’imbriquent, se complètent, s’éclairent et s’illuminent. C’est le temps de l’apprentissage qui met un terme au temps de l’innocence.
C’est une manière de mettre de la vie dans la vie, au point qu’elle s’accélère. Ce sont des émotions sensationnelles qui vous traversent de part en part.
D’abord, c’est la permission d’aller vers son risque, de créer sans connaître l’issue finale. C’est l’audace d’imaginer quelque chose, une idée, une solution, un produit ou un service qui résout un problème. C’est autant que possible un changement de regard qui exerce l’oeil non conformisme à s’exprimer, à sortir du carcan convenu et convenable d’un grand nombre d’entreprises. C’est le cerveau qui s’ouvre et s’oxygène ; c’est un véritable déploiement des intelligences multiples et la démonstration que les circonstances ont un impact sur la libération du potentiel. C’est choisir et abandonner, mais c’est surtout gagner en humilité face au temps, car il file et il faut accepter la faible emprise sur le temps des autres : les partenaires, les clients, les journalistes, etc.
Entreprendre, c’est maîtriser tout ce qui dépend de nous et lâcher-prise sur ce qui dépend des autres ; il ne s’agit pas de renoncer, mais de faire son possible, donner le meilleur et gérer le temps des autres qui semble parfois, sinon souvent, à l’arrêt tant le temps d’action ou de réaction est long.
Maturité
Apprivoiser le temps donc pour juguler l’état de frustration. C’est gagner en lucidité et inévitablement en visibilité. Entreprendre oblige à regarder froidement ses forces et ses faiblesses, jusqu’aux angles morts. Réussir est à ce prix ; diriger suppose d’avoir le courage de voir le réel, sans faire l’impasse sur la brutalité des faits. C’est se considérer avec une rude empathie, soit avec bienveillance, mais sans indulgence pour se confondre et grandir. La valeur de l’entrepreneuriat, c’est cela. La vraie richesse est le chemin, les rochers, les cailloux, les crevasses et les genoux cagneux. C’est le sentiment d’avancer parfois et d’être Sisyphe d’autres fois. La beauté du voyage, c’est cette force mentale qui ne vous fait rien lâcher, même quand le péril à la porte guette ou menace la pertinence d’un choix, d’un raisonnement ou tout simplement l’existence.
Apprendre de soi, des autres et rompre avec ses certitudes. Avancer à 1000 à l’heure et, en même temps, donner de la respiration à la pensée : avancer, ralentir et être, être en devenir.
C’est aussi scruter la nature humaine et faire avec les déceptions, et il y en a. C’est vivre avec le poids d’une forme de solitude entremêlée d’une forme de légèreté. C’est un balancier dont il est difficile de trouver l’équilibre, ce qui oblige à un exercice de funambule. C’est une agilité mentale et corporelle pour se ressaisir sur la brèche et s’empêcher de tomber, entrainant alors d’autres avec soi, car il y a toujours des autres, que l’on soit seul ou à plusieurs, en interne ou à l’externe, beaucoup de sorts sont liés.
Fragilité
La sagesse de l’entrepreneuriat réside donc dans cette faculté à accepter cette vulnérabilité protéiforme, sans se sentir faible, mais au contraire fort. C’est s’affranchir du regard des autres qui doutent ou s’effraient pour vous et tentent de vous influencer voire de vous faire dévier, sans véritablement comprendre votre projet. Il faut composer avec le regard des autres, mais également avec leurs jugements, et ils sont nombreux. Ceux qui n’ont rien entrepris, mais qui sont prompts à donner des leçons ; ceux qui sont planqués, ne prennent aucun risque et on des réflexes de planqués précisément et qui osent par ailleurs vous expliquer tout ce que vous n’avez pas fait. Il y a ceux-là, et aussi ceux qui vous font perdre votre temps en vous mobilisant dans un temps interminable pour finalement ne rien décider, croyant que le temps n’existe pas et n’a aucune conséquence. Entreprendre, c’est gérer toutes ces inconséquences et garder le sourire tout en vous revitalisant avec d’autres : les curieux qui décident et qui agissent, ceux qui ont la conscience des impacts, des fragilités, des équations compliquées qui percutent l’équilibre du temps et des moyens, et ceux qui vous offrent leur soutien sans condition.
Trouver l’équilibre dans la croissance, dans la vitesse ou l’accélération, est un art difficile qu’il faut pourtant maîtriser pour devenir grand et fort, ce grand n’étant pas forcément d’ordre quantitatif.
Echapper aux réflexes convenus, systémiques et conformistes qui vous découragent, au lieu de vous donner des ailes, et creuser votre sillon en profitant de chaque jour du reste de la vie ; rêver, oser, ambitionner, viser toujours plus, encore et encore, en espérant que ça continue encore et encore.
Entreprendre, c’est cette fable, cette poésie, ce conte, en dépit de l’inévitable thriller psychologique. Entreprendre, c’est l’audace des sensations.