Gouvernance
La fusion : décence ou décadence ?
Édito — il y a 6 années
Temps de lecture: 3 minutes
Fusionner sans les hommes, en dépit du bon sens. Seule la gouvernance humaine façonne la valeur d’une fusion en choisissant le chemin de la décence ou de la décadence.
Devenir plus grand ou plus gros ?
La gouvernance ante & post fusion signe le masque des intentions. Les fusions à jeu égal n'existent pas ; toujours, la force trahit la réalité de l'élégance du jeu. L'acteur dominant trouve sa légitimité dans l'économique, le politique et/ou l'humain. L'acteur dominé choisit de penser en stratège ou de se laisser réduire à l'état de poussière, sans combativité jusqu'à ce que la violence des vagues charrie l'essentiel, ce qui fait le commun.
L'enjeu du seuil de résistance est crucial, car il donne ou pas la permission de tuer. Il entérine l'ampleur, le style et le curseur du cordon sanitaire moral pour que les choses restent humaines, rigoureuses, sévères même, mais humaines. Il est si facile de se sentir puissant pour écraser, mais, quel sens le mépris construit-il dans une histoire de rapprochement ? Est-il indispensable d'exporter les névroses, les ego et les pires pratiques pour se sentir invincible et montrer qui dirige ?
La maltraitance est-elle libératoire ? Mais à quelle fin ?
Les cimetières sont pleins d'entreprises qui se sont désincarnées à force d'avoir donné la priorité au machiavélisme. Mais surtout, toute brutalité pathologique observée avec une discipline quasi religieuse détruit le collectif qui se laisse peu à peu saisir d'un contagieux découragement.
Certains se rangent du côté des forces obscures en complotant, jusqu'à la trahison des siens. D'autres abandonnent tout simplement. Et au milieu, les autres résistent de manière passive ou active. Continuer de faire son travail avec une certaine ambition quand l'agression devient quotidienne devient un acte de bravoure. Rassembler les siens pour faire barrage et sauver ce qui mérite de l'être, confine à un début d'héroïsme. Quant à ceux qui prennent fait et cause pour le collectif, sans masque, et décident de défendre le commun à voix haute, méritent presque une récompense de guerre, car ils jouent à découvert, en dépit de leur intérêt personnel.
Le courage est à l'évidence une valeur refuge en cas de fusion sans foi ni loi. Le courage qui abandonne le plus souvent chacun par facilité doit catalyser son énergie pour rassembler le collectif et dresser un rempart quand l'absurde fait sa loi. Retrouver le courage devient un défi solidaire, car comme l'écrit Cynthia Fleury, dans La fin du courage, "savoir qu'il va falloir tenir alors que rien ne tient" est une entreprise difficile.
Oui, "comment reprendre courage" alors qu'il est si aisé "de se mêler chaque jour à cette négociation du non-courage" ? Elle énonce 3 règles :
- première règle : "pour reprendre courage, il faut déjà cesser de chuter."
- deuxième règle : "retrouver la vitalité. Celle de l'organisme avant celle de l'âme."
- troisième règle : "il faut chercher la force là où elle se trouve."
Pour reprendre courage ensemble, il est nécessaire de calculer le prix du non-courage. Puis, il faut rebâtir un sens au présent qui, inévitablement, va participer à la construction d'un sens à venir. Ne pas attendre d'être dépecé pour réagir ; ne pas nécessairement fuir. Agir ensemble pour se donner de la force.
"Savoir, penser, rêver, tout est là" dit Victor Hugo et c'est encore possible ; même quand le chaos est le spectre du quotidien, que plus rien n'a de sens et que la comédie humaine envahit tout. Dialoguer, imaginer, oser ensemble, protège, élève, et donne des perspectives.
Mais, au bout du compte, l'équation du durable est bien celle de la décence collective ; elle est la synthèse du code moral qui pose les limites de chaque individu et pose en creux la question de la responsabilité de chacun quand la violence ordinaire devient la norme. Elle relève d'une forme de symétrie des actes et de la beauté des gestes à grande échelle. Comme si la loyauté locale devenait globale. C'est une mutation du lien invisible qui crée une communauté ; elle galvanise la confiance du collectif dans ce qui fait lien, soit les valeurs morales communes : des valeurs de respect et de loyauté dont le sens du partage, de l'autre et de la solidarité en sont de magnifiques incarnations.
Est décent ce qui n'humilie pas l'individu, mais témoigne du respect ; est décente la juste reconnaissance du talent et des oeuvres, ces réalisations qui témoignent d'un savoir-faire ; est décente l'acceptation de ce que chacun a de singulier et qui trouve refuge dans un caractère normal ou d'exception ;
Il s'agit de ne pas oublier que la rationalité économique peut n'avoir aucune rationalité humaine, car alors, la valeur économique est au prix de la destruction humaine ; un jeu à somme nulle donc, qui perd de fait son fondement économique.
Ainsi, seule la gouvernance humaine façonne la valeur d'une fusion en choisissant le chemin de la décence ou de la décadence. Eh oui : "montre-moi comment tu fusionnes, je te dirai qui tu es" !
À tous les bateaux ivres...
Nicole Degbo
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Article publié dans Les Echos, à lire ici.