REAIX 2022
Équation non résolue
Édito — il y a 2 années
"Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant." Arthur Rimbaud
Défaillances systémiques
"Nous savons dans bien des cas ce qu’il faut faire… et pourtant… nous tergiversons." Ce sont les mots forts d’Hélène Rey, économiste spécialisée en macroéconomie internationale au Cercle des Economistes, lors de la session finale des Rencontres Economiques d’Aix-en-Provence 2022. Elle poursuit en réaffirmant que nous avons tous les diagnostics et que nous savons quelles directions entreprendre. Nos atermoiements n’en sont, à ses yeux, que plus condamnables. Qui peut être en désaccord avec cela ?
Au regard des crises auxquelles nous devons faire face, qui peut dire qu’il ne savait pas ? Quel dirigeant peut ignorer la complexité de ce qui nous traverse ? La crise climatique, la révolution digitale et, en même temps, la fracture numérique, les crises sociales, en commençant par l’insoutenabilité des inégalités, les défis géopolitiques et tant d’autres sujets qui obligent le monde à reconnaître ses défaillances systémiques pour refaire le monde.
Nous sommes confrontés à une panne du capitalisme et un non-sens du progrès qui menacent nos sociétés. Nos démocraties, en dépit de leur modernité, voient la quiétude se diffracter de manière profonde et durable tandis que dans d’autres parties du monde, l’équation du développement reste non résolue.
Alors faut-il penser les décisions à l’aune de 3.000 ans comme le conseille Jacques Attali ou, au moins, penser le monde jusqu’en 2040, en sachant pertinemment que le monde va changer, que les mutations sont rapides, que les données de l’équation peuvent changer à tout moment ? Il est probable qu’aucune action ne pourra être efficace raisonnée dans un temps court. Nous n’avons plus le temps pour le provisoire. Nos réflexions et nos décisions doivent être systémiques et déployées de manière cohérente et dans un temps long qui incluera, au passage, le temps court. Nous devons décadrer notre pensée pour penser le progrès autrement car son éprouvé est très hétérogène et nourrit l’incompréhension, le ressentiment et le rejet de la société d’une partie des citoyens.
Dissonance de l’action
Le temps devient un actif stratégique car nous n’avons plus le temps d’en perdre. Pour reprendre les mots de Denis Kessler : "Nous sommes maintenant, dans l’urgence du long terme" avec la promesse quasi certaine de "la tragédie des horizons" dont parle Marck Carney, économiste britannique et ancien Gouverneur de la Banque d’Angleterre.
Il devient alors vital de régler les problèmes de cohérence entre l’action et le réel. Les dirigeants économiques et politiques doivent diriger avec un horizon lointain, mais à hauteur d’homme. Nous ne pouvons plus jouer avec la vie des gens, nous ne pouvons pas non plus leur demander de changer de vie du jour au lendemain, alors que les lendemains sont déjà difficiles et incertains pour tant de personnes. Nous pouvons encore moins leur promettre la lune et des jours qui chantent quand nous n’avons, en réalité, pas le début d’une solution réaliste et pragmatique car ce temps perdu, qui diffracte la confiance, est une confiance à reconquérir pour agir.
Dominique de Villepin souligne, quant à lui, le ressentiment planétaire et national qui affaiblit nos démocraties et avec lequel il faut en finir.
Comment ? Nous devons être clairs sur notre projet : a minima celui de la France et celui de l’Europe, tout en comprenant le monde qui vient. Nous devons assumer nos ratés et construire avec transparence un avenir dont il est certain qu’il sera sombre, mais il peut l’être plutôt moins que pire. Et ce devoir de vérité marche avec le devoir de lucidité. Chacun doit s’éduquer à la hauteur de ses moyens, mais ceux qui ont accès à un très haut niveau de triangulation de l’information doivent élever le débat et mettre en garde ceux qui voudraient mettre la tête dans le sable pour justifier leur immobilisme.
Il faut refaire le monde à l’aune des défis climatiques et technologiques qui vont redéfinir de manière fondamentale toute la société : emplois, compétences, utilité, assurance, santé, et notamment mentale, disruption, transformation, géopolitique, éducation, démographie, migrations, etc. La vie sera redéfinie de A à Z et personne n’est préparé à cela.
Les corps intermédiaires se perdent dans des luttes du passé alors même que l’avenir est à inventer. Les jeunes se cabrent sur le travail, au nom des drames à venir, sans se douter que le travail sera rare demain. Trop de politiques font du populisme pour tuer le temps. Le temps passe et l’équation reste non résolue.
La gouvernance de l’impact
Parce que le coût de l’action et de nos lenteurs est trop grave, Dominique de Villepin parle d’une rupture nécessaire car nous n’avons plus le luxe d’une transition douce. Nous n’avons plus le temps de discours sirupeux et moralistes sur la raison d’être et les entreprises à mission. Cette trajectoire est un luxe et ce n’est pas la seule direction à entreprendre. Les dirigeants doivent d’une manière ou d’une autre commencer les transformations pour espérer les réussir.
D’ici 2025, les entreprises, les États et les gens devront avoir commencé quelque chose de significatif pour créer un impact majeur dans leur vie. Nous sommes liés par une communauté de destins.
Nous devons donc inventer une nouvelle gouvernance qui favoriserait le pilotage du monde sous le prisme de l’ESG ; et l’esprit plutôt que les normes, parce qu’au bout du compte ce qui compte, c’est de faire ce qu’il y a à faire, dans une logique d’inclusion et de durabilité, sans naïveté de marché, en ayant le sens aiguë des priorités et la conscience que le digital pourra réduire à néant un grand nombre d’acteurs et de gens.
Et donc pour entrer dans cette guerre du temps, il va falloir que les plus puissants apprennent à se déprendre de leur ego pour écouter mieux, assumer leurs erreurs, sans honte, et rapidement, pour pivoter intelligemment vers autre chose avec pragmatisme et l’ambition chevillée au corps de créer un impact.
Au fond, l’impact, plus que les normes, doit être notre horizon et devrait être l’obsession de tous : créer de l’impact pour soi, pour l’économie et pour la société. En conclusion, j’en terminerais avec cette phrase de Dominique de Villepin : "Il faut tout faire pour éviter la catastrophe, mais il faut tout faire également pour s’y préparer." Le chantier est gigantesque et l’équation est à ce jour non résolue.
Nicole Degbo
-
La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.