Gestion de crise
De l'autre côté du virus
Édito — il y a 4 années
Ce virus est comme un sérum de vérité ; il révèle au grand jour les vulnérabilités de la société, des entreprises et des personnes.
Le coronavirus met la société au défi d’elle-même ; nous ne sommes pas en guerre, mais en état de guerre ; nous sommes en situation de tension extrême qui entraîne jusqu’à la fermeture des lieux de culte.
Chacun est invité, à l’exception de ceux réputés indispensables à la survie de la société, à rester chez soi ; le confinement devient alors une épreuve mentale qui se transforme rapidement en question existentielle. Qui suis-je ? Que fais-je ? Où vais-je ? Tourner en rond, entre 4 murs : c’est une torture pour ceux dont les murs sont étroits ou la compagnie mal choisie, voire subie ; c’est une entrave à la liberté pour les autres. Mais ce seul geste sauve des vies, alors il faut que le plus grand nombre soit en capacité de l’exécuter avec discipline pour limiter les interactions sociales à 5 personnes maximum.
Comment choisir ces 5 personnes ? Parfois, c’est le quota de l’unité familiale ; donc techniquement, il ne faudrait rencontrer personne d’autre ; pour d’autres, cela laisse un petit éventail de choix, mais mieux vaut l’éviter.
Ce temps infini, dont nous savons qu’il finira un jour, va interroger les choix de l’existence ; ce moment va ressembler aux résolutions de fin d’année : se promettre de ne plus faire ceci, au profit de cela ; ce temps est la promesse d’un renouveau collectif qui ne dépend, au fond, que de nous. Si tout le monde évolue vers quelque chose de mieux, alors cet inédit aura produit autre chose qu’un chaos assourdissant.
Alors, chacun doit se promettre de se dépasser sur le plan humain et en attendant, chacun doit dépasser sa peur pour adopter des comportements rationnels : ne pas dévaliser les magasins, ne pas exposer ses voisins, se rendre disponible pour ce qui est utile, sans s’exposer à un danger déraisonnable, ne pas dénigrer son pays. Bref, tous ceux qui peuvent garder la raison sont invités à le faire.
Pendant ce temps, l’entreprise est aux prises avec sa réalité. Il y celles qui se sentent tout simplement démunies car rien n’est prêt pour leur permettre de continuer, alors même qu’elle pourrait le faire. Au fond, il est plus simple pour une entreprise de se voir imposer une fermeture administrative car cette injonction élimine spontanément toute alternative ; elle devrait par ailleurs être financièrement compensée. L’autre sujet pourrait être d’imaginer une façon de continuer à fonctionner alors même que l’entreprise est porte close ; cela pourrait aussi être une manière de penser l’entreprise, ses faiblesses, ses forces, ses contraintes et ses opportunités pour mettre ce temps d’arrêt forcé à profit. Cette pause pourrait être une opportunité, mais ce n’est pas obligé.
En revanche, l’entreprise qui, sur le fond, pourrait continuer de fonctionner, mais s’arrête car elle ne sait pas comment être en activité, autrement que de manière traditionnelle, a un problème.
Et, il semblerait que ce ne soit pas une exception : des dirigeants qui ne savent pas comment accepter le lâcher-prise du présentéisme pour faire confiance aux équipes ; des dirigeants qui mettent les intérêts de leur entreprise au-dessus de la sécurité de leurs salariés en leur imposant une présence contrainte, forcée et non sécurisée, à peine d’agiter la menace d’un licenciement ou d’imposer des congés payés ; des dirigeants qui parlent de télétravail, sans nourrir celui-ci de travail car le spectre de l’agilité n’est qu’un leurre.
Ce virus est un révélateur des mensonges des uns et des autres. Elle met l’entreprise à l’épreuve de son image fabriquée de transformation. À lire les commentaire des uns et des autres, la transformation est régulièrement fantomatique en dépit de la littérature produite dans la presse ou sur les réseaux sociaux.
Beaucoup d’entreprises sont vulnérables de leur impossible agilité, de leur besoin viscéral de contrôle, de leur style directif, de leur incapacité à déléguer, de leur difficulté à communiquer et à produire du sens. Les entreprises qui connaissent actuellement cette réalité sont confrontées à une perte sèche économique. Alors certes, il y a la possibilité de mettre les personnes en chômage partiel, mais les salariés savent au fond d’eux-mêmes que cette alternative vient palier la part manquante de l’entreprise plus que le virus lui-même.
Ensuite, il y a l’engagement des salariés ; il y a ceux qui se portent volontaires à tout ; ceux qui ne manquent pas de ressources et encore moins d’idées pour créer de la valeur, même à distance. Mais, il y a aussi ceux qui sont prompts à se démobiliser, arguant l’impossible travail, au risque de mettre en danger leur santé. Il y a ceux qui ont certes peur pour leur santé, mais trouvent dans ce virus le réconfort du non-travail. Et bien-sûr, il y a ceux qui sont au front, au mépris de leur propre vie car leur métier l’exige.
Ces héros du coronavirus ont un visage pluriel. Il y a ceux dont la mission est de sauver nos vies ; ceux dont la mission est de protéger nos vies, y compris de nous-mêmes ; il y a ceux dont la mission est d’assurer la continuité du pays en nous permettant de nous nourrir, de nous éclairer, de rester propres, de nous divertir, de nous cultiver, de nous détendre. Il y a ceux que nous voyons et des millions d’invisibles qui font en sorte que ces activités soient possibles.
C’est une des raisons pour laquelle l’économie ne peut pas s’arrêter ; maintenir la société hors du chaos suppose d’autoriser la vie, même confinée, pour que l’ordre puisse régner.
Voir tous ces héros du quotidien au travail oblige indéniablement à interroger la notion d’essentiel ; voir ces personnes qui s’exposent au nom de leur engagement professionnel ou de leur vocation questionne l’échelle de valeur métier établie par la société ; Qu’est-ce qui fait la valeur d’un métier et légitime tels ou tels émoluments ? Il ne s’agit pas nécessairement de revoir la rémunération des plus hauts salaires, mais il est certain que la société tout entière devrait faire son aggiornamento qui reposerait sur la lucidité retrouvée de la notion d’essentiel : ces soignants, ces instituteurs, ces forces de l’ordre, ces pompiers, ces agents du service public, ces caissiers, ces livreurs, ces postiers, ces chauffeurs de taxi, ce personnel de ménage, ces ouvriers et ces techniciens de l’ombre que la société aime à négliger sont nos essentiels de cette période. Alors, sans doute qu’une meilleure analyse de leur contribution à la société entraînerait l’attribution de salaires décents et de conditions de travail plus confortables. Nous leur devons cela, sinon, lors de la prochaine crise, nous leur donnerons le droit de ne pas répondre présents, mais aussi, et surtout, parce qu’ils le valent bien.
Nicole Degbo