Travail
(Clarifier) les règles du jeu
Édito — il y a 3 années
Comment faciliter l’accès à l’emploi ? Voilà une réflexion suite aux 21e rencontres économiques d'Aix-en-Provence.
Jeunesse
Les inégalités sont protéiformes et inacceptables, à commencer par celle de l’accès à l’emploi.
S’agissant de la jeunesse, je dois dire que le discours public m’apparaît trop enveloppant. La violence de la crise et les conséquences sur la temporisation des études pour certains ou de l’entrée dans la vie active pour d’autres ou encore la falaise du décrochement scolaire pour les plus fragiles, ont libéré un excès d’empathie au point que les jeunes ont parfois le sentiment d’avoir été les seuls sacrifiés de la crise et c’est faux.
Il est vrai qu’être jeune, ce n’est pas simple. La vie est devant soi, mais beaucoup se sentent désœuvrés, voire inutiles, car le projet professionnel n’est pas clair ; et bien, c’est normal ;
d’autres doivent multiplier les petits jobs pour financer leur indépendance ; et bien, c’est normal aussi ;
d’autres doivent démarrer par une fonction un peu ingrate pour laquelle leur intérêt est limité ; et là encore, c’est normal.
Nous oublions trop souvent de rappeler à la jeunesse que nous avons tous été jeunes et que selon notre époque, certains sortaient d’une guerre, d’autres sont nés pendant la guerre, d’autres ont eu la chance de naître au monde pendant les 30 glorieuses et, depuis la fin de l’âge d’or, nous sommes une génération d’un pays en crise avec des cycles de plus en plus courts et surtout la notion de chômage de masse s’est installée dans le paysage de nos vies. Aujourd’hui, la crise climatique occupe (trop) l’espace, au détriment d’autres enjeux non moins essentiels.
La crise pour les jeunes, ce n’est pas nouveau, mais tôt ou tard, si les codes sont bien compris, la vie se met peu à peu en place et les rêves trouvent leur place.
Bien entendu, certains jeunes iront plus vite que d’autres car leurs parents ont les moyens et des relations. Cela a toujours existé et, en réalité, cela ne concerne qu’une petite minorité de la jeunesse.
Le problème devient précisément un problème lorsqu’il s’agit des minorités ou des catégories socio-professionnelles les moins aisées. Elles font partie de ceux pour qui le pacte républicain est dissonant. Elles n’ont pas le mode d’emploi pour comprendre comment la société fonctionne et s’insérer rapidement et à la hauteur de leur espérances sur le marché du travail. Les minorités sont sans cesse obligées de faire des compromis avec leur potentiel ; elles ne savent pas à quoi elles pourraient bien prétendre car elles rencontrent beaucoup de difficultés pour décoder les règles du jeu.
Elles envoient souvent un nombre indécent de CV qui restent sans réponse. Ce n’est pas toujours une histoire de discrimination ; c’est parfois un CV mal ficelé qui ne sait pas raconter l’expérience du candidat ; c’est parfois une manière de candidater qui trahit un furieux manque de confiance en soi ; c’est parfois un CV adressé au mauvais endroit ; c’est aussi une timidité à relancer ou une insistance à utiliser toujours la même méthode pour vivre les mêmes échecs ; c’est ensuite un sentiment de peur qui grandit, puis l’incompréhension, la perte de confiance et ensuite vient la honte, la colère et la tristesse avant une forme de résignation à viser bas.
Discrimination
Toutes les minorités ou les catégories socio-professionnelles les moins aisées ne sont pas logées à cette enseigne, mais le nombre d’entre elles qui connaissent cette réalité devrait nous terrifier et pourtant, depuis trop longtemps, nous sommes coupables ou complices d’une acceptabilité tranquille d’un taux de chômage trop élevé, sinon vulgaire, qui touche la jeunesse la moins favorisée et c’est indigne d’un pays aussi riche.
Il aura donc fallu, la crise de la covid pour que la société toute entière se lève comme un seul homme pour dire que ce n’est pas acceptable ; or, nous l’avons accepté pour certains d’entre nous. Donc, la société doit non seulement reconstruire la confiance des citoyens victimes de ce système, mais aussi leur redonner de la dignité en agissant de manière très pragmatique pour que les choses changent car les gens veulent du progrès dans leur vie pour croire au progrès de leur pays.
Ils ne manquent pas de volonté ; ils veulent juste comprendre les règles du jeu pour avoir une chance de jouer. Or, aujourd’hui, les règles sont floues.
Et ce constat est valable pour les seniors qui, à partir de 45 ans, entendent le tic-tac de leur date d’utilité. Un trop grand nombre d’entre eux se voient montrer le chemin de la porte au motif qu’ils seraient trop cher. Donc la société explique implicitement aux gens que l’expérience ne vaut rien alors qu’elle demande aux jeunes d’en avoir.
Nous voyons bien que notre rapport au travail est irrationnel, à commencer par notre obsession pour le diplôme et attention, pas n’importe lequel, pour estimer la validité d’une personne. Savons-nous seulement à quel point nous sommes ridicules ?
Steve Jobs et Mark Zukerberg sont des autodidactes selon l’acception française ; mais, ils n’ont pas rencontré de difficultés pour convaincre progressivement des investisseurs de leur confier des millions pour créer, innover et grandir au point que leur entreprise compte, aujourd’hui, parmi les plus puissantes au monde.
Compétence
Comment pouvons-nous répéter que la qualification est le seul graal qui rendrait un individu légitime alors que le monde montre chaque jour des exemples opposés ? À quel moment allons-nous sortir de cet archaïsme éducatif pour honorer l’intelligence des gens, leur offrir une chance et leur donner les moyens de tirer profit de l’école de la vie ?
Pour ceux qui vont à l’école et sortent diplômés, à quel moment, les dirigeants, les cadres-dirigeants et tous ceux qui ont les codes vont-ils tout simplement se montrer attentifs et réceptifs à des personnes qui les sollicitent, sans nécessairement passer par le cadre d’une association dont le métier est le mentorat & co ?
Ne peut-on pas sortir d’un formalisme relationnel pour regarder, écouter et tendre la main simplement à des gens parce qu’ils le demandent poliment et de la bonne manière ? Le monde des affaires connait également cette difficulté, mais c’est un autre problème à aborder, certainement à l’occasion d’une autre tribune. Nous devons sortir de notre obsession française des clans et des réseaux pour nous ouvrir aux autres et au monde de manière plus créative.
Nous devons faire davantage confiance à l’intelligence des gens et moins aux diplômes pour commencer à arrimer le plus grand nombre de citoyens sur le marché du travail, au lieu de les laisser s’enfermer dans le doute, le désœuvrement, puis le ressentiment.
C’est simple à faire, il suffit de commencer un pas après l’autre et de poser le débat autour de l’employabilité car c’est cela qui devrait en toute circonstance être le juge de paix. Trop de métiers sont sur-estimés en termes de qualifications et cela élève injustement le seuil d’entrée.
Et que dire des entreprises qui entretiennent les espoirs de bataillons de recrues en stage pour finalement les utiliser comme des CDI provisoires, à moindre coût ? Comment avoir confiance après cela ? Comment ne pas vouloir être protégé par l’État ? Mais, est-ce vraiment le meilleur que nous puissions faire ?
Et pouvons-nous également questionner le nombre de retraités actifs qui évoluent sur le terrain du conseil, perturbant ainsi le marché d’un bon nombre d’entreprises ? Est-ce juste pour ceux qui sont encore là pour longtemps ? Comment lutter contre des acteurs qui utilisent le réseau d’une vie pour avoir une autre part du gâteau alors que le temps est venu pour eux de passer le relais ?
Nous devons cesser d’entretenir une culture du travail injuste pour que chacun ose croire à nouveau que la société est prête à lui donner une chance ; nous devons faire renaître l’audace d’espérer, avant que la colère ne devienne incontrôlable, à force de désespoir nourri par une profonde injustice parfaitement illégitime.
C’est là une véritable transformation de la culture du travail que j’appelle de mes vœux et j’ose croire que je ne suis pas la seule à penser cela. Il y a bien entendu d’autres leviers, mais ceux-là ne peuvent pas être ignorés plus longtemps.
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Nicole Degbo