Travail
Assurance-chômage : 15 mois, tout juste
Édito — il y a 7 mois
Augmenter la pression du retour à l’emploi, sans réparer les méthodes et l’état d’esprit du marché du travail est une erreur méthodologique.
Dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage annoncée ce dimanche par le Premier ministre , la durée d'indemnisation maximale va passer de 18 à 15 mois pour les chômeurs de moins de 57 ans. 15 mois, c'est théoriquement le temps nécessaire pour rebondir, en faisant notamment le bilan pour identifier toutes les ressources utiles pour trouver un travail, idéalement intéressant. Certains savent gérer cette étape seuls, d'autres ont besoin d'aide et il existe une palette très large d'accompagnement au retour à l'emploi.
Faire un bilan de compétences peut être très utile pour comprendre comment mieux utiliser ses compétences acquises et son potentiel ; cette connaissance de soi est particulièrement pertinente pour définir un projet professionnel et s'écarter parfois d'un repositionnement professionnel linéaire.
D'autres dispositifs tels que l'immersion professionnelle, une sorte de stage pour les professionnels en transition, peut aider à clarifier l'imaginaire inspiré par un métier. Le mentoring et toute autre initiative susceptible de contourner des difficultés réelles de marché peuvent également faciliter la recherche d'un nouveau travail.
Seulement, 15 mois, c'est court et c'est long quand les défaillances du système n'ont pas su trouver de réponses. Les inégalités du marché du travail altèrent significativement l'égalité des chances de tous. Les plus vulnérables selon leur origine, leur classe sociale, leur qualification, leur âge et d'autres freins périphériques vivront la mise en oeuvre de ce décret prévu au 1er juillet pour une entrée en vigueur le 1er décembre comme une injustice totale qui les poussera à faire plus de compromis avec leurs ambitions.
Inclusion créative
Or, le marché du travail est rarement une partie de plaisir pour les plus fragiles. Outre les biais classiques auxquels sont soumis tous les êtres humains, les demandeurs d'emploi les plus éloignés de l'emploi ou exposés à l'intersectionnalité rencontrent des situations complexes qui ne rendent pas facile leur retour à l'emploi.
La discrimination est un sujet ; nous parlons beaucoup de l'âgisme, mais le manque de diversité sociale est une difficulté réelle qui a un impact sur la facilité ou pas à retrouver un travail. Très souvent, le manque de réseau représente une perte de chance qui réduit considérablement le champ des possibles. La longueur des recrutements peut confiner à une sorte d'apathie qui crée le doute et la perte de confiance pour ceux qui ont l'impression de subir des règles opaques.
Le manque de curiosité et d'ouverture à la différence a des conséquences sur l'imagination et la créativité mises en oeuvre pour élaborer des réponses adaptées et faciliter ainsi l'insertion des candidats souffrant de situations difficiles.
Il y a un certain nombre de débats sur ces difficultés, mais ce durcissement des règles de l'assurance-chômage ne semble pas en tenir compte et envoie un message assez violent au marché. Ce choix politique va pénaliser encore plus ceux qui le sont déjà par le système.
Encourager le recrutement
Nous n'avons pas réussi à faire de l'égalité des chances une réalité, en dépit de multiples initiatives ; il ne s'agit pas d'égalitarisme, mais d'être incitatif, sans être méprisant à l'endroit de ceux qui ne demandent pas être favorisés, mais n'acceptent pas non plus, et de moins en moins, d'être pénalisés.
La priorité n'est pas de réduire encore les perspectives des victimes des inégalités, mais de créer une impulsion suffisante pour encourager le marché à être plus incitatif, plus ouvert, plus créatif, moins averse au risque, moins enfermé dans une culture mortifère de l'entre-soi. Après tout, c'est ainsi que les Etats-Unis sont devenus la première puissance mondiale, en catalysant le génie collectif.
Notre urgence est de réinventer le recrutement, de donner un nouveau souffle à la culture du changement pour impulser une dynamique de mobilité sociale, d'aider les uns et les autres à ne plus s'enfermer dans un registre professionnel aussi étroit que court, de donner une chance plus grande à l'intelligence, d'apprendre à appréhender le potentiel d'une manière différente. Nous devons pivoter pour changer notre regard aux autres, sans oublier l'ambition de performance économique. La différence n'est pas toujours un risque ; elle est souvent une opportunité.
Et c'est seulement en réussissant cela que réduire la durée d'indemnisation aura puissamment du sens.
Article paru dans Les Échos, à lire ici.
Nicole Degbo
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La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.