Université de la terre
Une boucle de rétroaction positive
Actualités — il y a 2 années
❛Notre point commun le plus basique, est que nous habitons tous cette planète. Nous respirons tous le même air. Nous chérissons tous le futur de nos enfants. Et nous sommes tous mortels.❜ - John F. Kennedy
La fracture écologique est un défi holistique ; et c’est une des raisons qui rend le sujet complexe. Il est facile d’utiliser un levier qui déclenche des réactions en chaîne dramatique. Chaque enjeu doit donc être pensé à l’aune de toutes ses dimensions : environnementales, sociales et gouvernance. Les trois, en même temps, sachant par ailleurs que l’échelle des solutions est pluridimensionnelle et relève du facteur humain individuel, collectif et organisationnel, incluant l’État et les entreprises, de même que toute organisation à but lucratif ou pas. Et même lorsque les bonne décisions sont prises, il faut accepter la temporalité du changement ; il est rarement rapide et s’inscrit par nature dans un temps long, a fortiori quand le chemin entrepris est celui de l’efficience par transformation.
Au stade où nous en sommes, nous devrons combiner des modèles de transformation par essence et par pivot pour anticiper les ruptures multiples et violentes à venir, tandis que différents acteurs de l’écosystème auront le rôle d’accompagner le pivot culturel et de challenger les statu quo. C’est le principe d’une boucle de rétroaction positive. Nous sommes tous dans le même bateau et suspendus à la sédimentation de l’action collective pour créer et accélérer, telle une force motrice, le changement.
Anticiper les ruptures
Le rôle des organisations quelles qu’elles soient est de renouer avec une prospective dynamique sectorielle et métier, dans un champ international, pour gagner en force d’anticipation et structurer, peu à peu, un plan stratégique proactif plutôt que réactif.
L’enjeu est simple : transformer ou mourir. Il y a la menace des disruptions technologiques et celle de la perte d’assurabilité des industries. Aussi, d’une manière ou d’une autre, l’ensemble des business seront menacés et le secteur assurance finira pas mettre une pression forte, et si nécessaire dans l’urgence, pour contraindre les entreprises qui souhaitent continuer de bénéficier d’une protection assurantielle de faire les changements nécessaires, au moins en matière de prévention, mais au mieux, en changeant de modèle.
L’assurance est un des quelques secteurs susceptibles de disparaître à cause du réchauffement climatique. Mais d’autres industries sont concernées : les sports d’hiver et le golf sont par exemple très exposés car ils seront confrontés à l’acceptabilité populaire quant à la fabrication d’une neige artificielle d’un coté et l’usage de l’eau de l’autre, sauf à identifier une nouvelle manière d’organiser la viabilité des ces activités.
Les enjeux sont souvent systémiques et particulièrement complexes, donc aucune réflexion simpliste ne saura venir au secours de ces défis tout à fait sérieux.
Le luxe a toujours projeté ses métiers dans un temps long, même si le rythme des collections s’est trop accéléré ces dernières années, aux dépens de la santé mentale des designers artistiques, dont certains ont fait désormais le choix de la décélération. Au-delà de cet aspect, il y a des transformations profondes à réaliser au niveau du modèle de production qui peut largement être décarboné et cela oblige à une réflexion globale sur l’ensemble de la chaîne de valeur métier.
Le monde technologique doit calculer l’ensemble des externalités négatives de son modèle ; et cela commence par l’impact de la pollution numérique, mais cela implique également une réflexion quant aux modèles sociaux privilégiés. Toutefois, il est très probable que les progrès technologiques seront un formidable atout pour trouver des solutions inédites et curatives sur le plan climatique.
Réindustrialiser la France est un pari dont l’équation ne peut être que complexe car cela signifie également de rapatrier la pollution externalisée. Il faut cependant rappeler que l’industrie d’hier, n’est pas l’industrie de demain ; les progrès numériques permettent dorénavant d’imaginer des usines en ville, avec une pollution minimale. Mais peut-on imaginer qu’un jour la production industrielle sera net zéro ? Sachant par ailleurs que pour réussir ce défi industriel, il faudra également réenchanter l’imaginaire des métiers propres à l’industrie !
Globalement, l’ensemble des secteurs sont relativement conscients des menaces plus ou moins mortelles qui pèsent sur leur marché. Néanmoins, le niveau d’engagement des entreprises est très inégal ; soit parce que certains dirigeants manquent de moyens, à savoir trésorerie, talents, effectifs, soit parce que d’autres dirigeants manquent de vision ou ont l’intime conviction d’être sur le bon chemin alors qu’il n’en est rien. La différence entre ceux-là et les autres a sans doute trait à leur ouverture sur le monde et leur capacité à en comprendre les tenants et les aboutissants avec humilité. Et le temps devient ressource ou menace tant les changements touchent à tout : savoir-faire, souveraineté et ancrage territorial, normes ESG, supply-chain, distribution, communication, marketing, publicité, et bien entendu ressources humaines. Et, à analyser les enjeux actuels du recrutement et de l’engagement, les tensions ont déjà commencé.
Bifurquer
Le rapport au travail sera un des défis majeurs du XXIè siècle. La nouvelle génération se caractérise par son impatience nourrie par une anxiété générée par des causes multiples : écologie, précarité, sens, travail, etc. Mais dans l’ensemble, cette ère signe la fin du travail sacrificiel. Les gens veulent une vie plus équilibrée et qui a du sens, tout en nourrissant un rapport assez ambivalent avec l’argent et notamment le niveau des salaires.
Les entreprises doivent inventer un nouveau récit pour intégrer les contraintes socio-économiques propres à l’entreprise et le droit à l’épanouissement des travailleurs qui demandent une flexibilité qui n’est sans doute pas réductible au télétravail.
Aussi, tout en transformant leur entreprise, les dirigeants doivent inventer un storytelling qui entraîne l’adhésion des nouvelles générations plutôt que la bifurcation. Au-delà de la posture du changement, elles doivent l’incarner de manière performative, en laissant la parole circuler dans l’entreprise, entre générations, pour comprendre les attentes protéiformes et enrichir leur matrice de changement. Les collaborateurs qui attendent autre chose de leur entreprise sont nombreux ; il y a les bruyants millenials dont certains sont de plus en plus radicaux, mais aussi toutes les générations précédentes dont une cohorte de salariés qui préparent silencieusement leur bifurcation, à force d’épuisement et d’attentes déçues. Et ce sont des milliers de collaborateurs expérimentés qui ont encore plus de vingt ans à travailler. Les entreprises et le marché dans son ensemble doivent comprendre que le mouvement de reskilling et d’upskilling sera un atout inégal entre les collaborateurs qui réduira, de fait, de manière massive l’offre de candidats, et plus spécialement des talents. Mais tenons-nous le pour dit, certains talents, à l’état d’esprit fixe n’auront pas l’agilité nécessaire pour se réinventer, persuadés par ailleurs, que leur niveau académique ou intellectuel sera suffisant, alors que ce sera de plus en plus une triste illusion.
Dans ce contexte, tous les concours seront utiles et nécessaire, à commencer par les activistes qui auront la responsabilité de mener la bataille des grandes idées pour accélérer le pivot culturel attendu pour réussir à aller dans la bonne direction. Aujourd’hui, nous avons des fonds d’investissement activistes qui ne vont pas toujours dans le sens du bien commun ; c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquels ils sont appelés « fonds vautours » car ils mettent une pression parfois insoutenable à l’entreprise pour dégager très rapidement des marges plus rentables. Ensuite, il y a les activistes plus traditionnels et c’est vrai que le paysage gagnerait à s’équilibrer car certains d’entre eux proposent des idées sans compréhension des enjeux économiques. En France, nous devons évoluer vers un activisme plus global et mieux connectés aux enjeux ESG pour influencer la société de manière audible et moins partisane. Il y bien-sûr des enjeux locaux, mais également internationaux comme le fair trade, incluant le fair materials.
Et c’est notamment le rôle des agences de notation d’évaluer les bons enjeux et non seulement les chiffres. Nous devons sortir du biais de la mesure de l’immédiat qui consolide en juge de paix la finance du court terme. Le système financier doit pivoter et apprendre à mesurer mieux les impacts et la vitesse de transition d’une entreprise, en se demandant quelle gouvernance sera susceptible d’amener l’entreprise dans le futur. En effet, tant d’entreprises semblent aujourd’hui bien gérées et ont la faveur des agences de notation, alors qu’elles sont vouées à une mort probable par manque d’audace et faiblesse de la transformation initiée. De la même manière, les médias doivent poser des questions nouvelles pour comprendre la nature du tissu économique et identifier les entreprises qui vont dans la bonne direction, puis les soutenir grâce à l’information pour leur donner du courage en temps agité.
Et le consommateur doit prendre aussi sa part, en changeant de comportement ; et cela commence par une cohérence entre les idées et les habitudes de consommation. Un produit durable coûte plus cher et pose la question de la consommation de masse. Comment être vertueux quand les fins du mois sont difficiles ? Peut-être qu’une nouvelle solidarité pourrait se mettre en place pour encourager les uns et les autres à inventer de nouveaux modes de consommation ? Consommer durable, ce n’est pas uniquement la seconde main, c’est beaucoup plus riche et vaste que cela.
Nous sommes au bord d’une révolution culturelle. Nous en sentons les prémisses, mais elle n’est pas encore là. Sans parler de décroissance, il est très probable que tous devront apprendre à consommer moins, mais mieux. La sobriété n’est pas incompatible avec la prospérité. Il faudra simplement prendre le temps, un jour, plutôt tôt que tard, d’en définir les termes communs, pour lancer le bouleversement sociétal pour lequel la circularité sera inévitablement au cœur, à travers le quintette : partager, réutiliser, réparer, recycler, régénérer. Et la clef de cette partition sera la réussite de coalitions nouvelles qui reposeront sur une compréhension du monde avec un regard empreint d’une empathie systémique pour trouver un équilibre entre l’économie, le politique, les technologies et le care et éviter ainsi un chaos social.
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La Cabrik est une fabrik de gouvernance qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.