Dialogue social
Refaire le monde
Publications — il y a 3 années
More and more ?
Un collapsus de confiance
Lors des huitièmes rencontres du dialogue social, l’importance du dialogue social a été réaffirmée. Mais, il s’agissait en réalité plus d’une note d’espoir pour la France dont le faible de taux de syndicalisation devient inquiétant : 10% en moyenne, près de 5% dans le secteur privé. Une hécatombe en somme.
Ce chiffre raconte l’impuissance des syndicats à faire face aux fractures de la société de manière constructive ; ce chiffre témoigne de l’échec de notre démocratie sociale ; l’État étant à la fois le bourreau et le modérateur du dialogue social entre le monde patronal et syndical.
L’abus du droit de grève sclérose la confiance au point qu’environ 43% des salariés actent leur défiance quant à l’efficacité de l’action syndicale ; pire encore, elle est considérée par une part non négligeable des salariés comme un frein à la transformation des organisations.
Ces résultats montrent les limites de la contrainte dans la lutte sociale et viennent sanctionner une absence de modernité dans le modèle de négociation sociale.
Nous sommes en manque de consensus entre les syndicats dont certains n’en finissent plus de se polariser ; nous pouvons par ailleurs acter l’engagement tout à fait relatif des syndicats dans les orientations stratégiques des entreprises, s’agissant des enjeux du travail. Trop souvent, ils sont tenus informés, dans le respect d’un certain formalisme de forme, mais sans espace véritable pour challenger l’intelligence ou le progressisme des décisions. Nous pouvons enfin constater la lassitude de l’État qui ne discute véritablement qu’avec une partie des syndicats, ceux avec lesquels un dialogue raisonnable est encore possible.
Alors, ici ou là, à la faveur des tensions sans fin de la société, nous entendons des voix s’élever pour souligner l’importance des corps intermédiaires. Mais, nous sommes à une période charnière qui insiste à affirmer que ce principe est désormais insuffisant.
Nous avons besoin d’avoir des syndicats en pleine puissance, mais pas n’importe comment, ni à n’importe quel prix. L’art et la manière comptent précisément parce que le monde change à toute vitesse et que les règles du jeu ne cessent de se redéfinir sous nos yeux, sous l’impulsion de la mondialisation.
Un choc de conscience
Les syndicats ont un problème de performativité de leur action car ils défendent les acquis du passé, tout en imaginant en conquérir de nouveaux pour le futur. Ce trait d’union entre deux mondes radicalement différents ne fonctionne pas car l’addition est trop salée et difficilement soutenable à long terme par les entreprises.
Alors, les parties prenantes se cabrent : le patronat, le gouvernement bien-sûr et les syndicats eux-mêmes. Nous assistons à des débats techniques, à des batailles menées pied à pied, en silos sur des points spécifiques, et à trop de victoires à la Pyrrhus, dans tous les camps.
Sur le fond, personne n’en sort grandi ; tout le monde en ressort affaibli ; les uns sont fustigés pour leur résistance de principe, les autres pour leur gourmandise vorace et les autres encore pour leur défaut d’écoute. Personne n’est satisfait, et la société continue de se défaire.
Nous sommes à un moment de changement inaugural qui implique d’inventer des solutions holistiques ; et refonder notre contrat social serait un bon instrument pour réexaminer les acquis et abandonner ce qui doit désormais l’être, au profit de nouveaux droits, mais surtout d’un pivot de la protection du contrat vers l’individu.
Quelque chose doit changer pour que le plus grand nombre osent regarder l’avenir avec confiance, en questionnant de manière exigeante et curieuse les choix envisageables pour améliorer la vie tout simplement. Il ne s’agit pas d’une bataille pour le bonheur au travail, mais d’une guerre pour instaurer un nouvel équilibre entre les contraintes nouvelles du travail et les besoins humains des salariés.
Nous regardons le travail changer de paradigmes et se diffracter sous nos yeux, impuissants, alors qu’il y a plus que jamais des drames à anticiper pour juguler le recul inéluctable du salariat, au profit de nouvelles formes de travail dont le télétravail, le mouvement des free-lances et sans doute que d’autres formules sont en cours de surgissement, sans parler du digital qui n’en finit pas de changer la donne.
Ce schéma de négociation sociale ne peut faire l’impasse sur un solide travail prospectif en amont pour scruter et comprendre le marché avec un regard neuf et lucide, s’inspirer des meilleures pratiques à l’étranger et surtout mettre l’ensemble en perspective avec le monde qui vient pour définir des axes de négociation intelligents et qui seraient à même de produire du sens dans la tête des gens.
Nous devons donc apprendre à nous déprendre de nos totems et de nos tabous pour avancer enfin vers quelque chose de mieux.
Un impératif d’utilité
Ce moment est celui de la reconquête du corps syndical qui doit accepter de reconsidérer son utilité car elle n’est plus une vérité d’évidence.
Pour cela, nos syndicats n’ont qu’à s’inspirer des modèles nordiques dont le taux de syndicalisation flirte aisément avec près de 70% et dont l’éthique de l’action est « convaincre plutôt que contraindre ».
Ainsi, ce sont des pays fortement syndiqués qui usent peu, sinon de manière exceptionnelle, de leur droit de grève. Cet état de fait est, à l’évidence, le résultat d’une relation de confiance forte entre le patronat et les syndicats ; cet art du consensus social reposant précisément sur un dialogue constant et la neutralité doctrinale.
En Europe du Nord, les syndicats ne s’enferment pas dans des postures idéologiques ; ils savent jusqu’où aller trop loin dans la négociation sociale et évitent de franchir la ligne de crispation. Leur préoccupation est de défendre correctement les intérêts collectifs du salariat.
Cet état d’esprit favorise l’émergence d’un tandem employeurs | salariés qui matérialise une vision complémentaire articulée de manière pragmatique, mais intelligente, autour des enjeux économiques et sociaux essentiels.
Nous pouvons prendre exemple sur cette pratique du dialogue apaisé et exigeant pour construire une nouvelle manière de faire lutte, au nom d’un dialogue social réinventé dont l’objectif serait d’accompagner la brutalité de demain.
Les syndicats ne sauront pas empêcher le nouveau monde d’advenir ; en revanche, ils pourraient favoriser la préparation du plus grand nombre à cette implacable réalité pour en adoucir la violence prédictive. Et cela passe également par la structuration d’une action de terrain concrète et utile qui s’incarne parfaitement dans le syndicalisme de services et qui toucherait des domaines tels que l’entretien d’embauche, les offres d’emploi, la formation, l’aide à la reconversion professionnelle, etc.
Les syndicats doivent professionnaliser leur savoir-faire dans un certain nombre de domaines pour s’imposer à nouveau comme un acteur légitime et incontournable dans le champ du dialogue social. Ils doivent faire cela dans un nouveau climat de respect, d’écoute et de proximité.
Nous parlons d’un nouvel état d’esprit, d’un « fair game » qui peut faire la différence dans le paysage des corps intermédiaires. Et c’est une nécessité. Albert Camus a dit en son temps : "Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse."
Alors au travail, quitte à faire des « learning expeditions » à la mairie de Suresnes reconnue pour la modernité de son savoir-faire en matière de dialogue social !
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La Cabrik est une fabrik de gouvernance qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.