Management
Monopoly
Publications — il y a 6 années
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Le cycle infernal de la ruine de l’engagement.
Invisibiliser
Combien de témoignages de collaborateurs abasourdis par leur invisibilité avons-nous déjà entendu ? Comment est-ce possible d’être un humain, un travailleur invisible ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, la mécanique est simple ; le top management pense à la place du low management et le middle management sert de courroie de transmission.
La toile digitale fait le récit autoporté par les entreprises elles-mêmes de leur révolution managériale ; elles expliquent que leur environnement de travail est cool ; elles célèbrent du jour au lendemain la promiscuité des open-space, sans se soucier de ceux que cela agresse et revendique un dialogue de proximité au coeur du quotidien, images régressives à l’appui, comme pour souligner la bonne humeur des équipes.
Les entreprises se sentent rajeunir ; c’est l’effet lifting. Les traces du temps sont tirées et donnent un air jeune ; c’est la surface et non le fond qui est offerte en pâture, car en réalité, le fonctionnement de l’entreprise ne change pas beaucoup. Les jeux politiques continuent de prospérer, les flagorneurs qui aiment faire-savoir plutôt que savoir-faire continuent de déambuler dans les couloirs, les réunions se multiplient et embrassent toujours plus de monde au prétexte d’inclusion, mais les décisions restent l’apanage du top management qui se réunit en conciliabule et tranche le sort des uns et des autres, fumée blanche à l’appui.
Déplacer
Une fois ce pouvoir exercé - oscillant entre l’arbitraire, le subjectif et l’objectif -, il faut organiser la communication des informations. On se dépêche d’organiser des réunions générales d’information où chacun est encouragé à poser des questions, mais où chacun réfléchit à sa tactique personnelle pour changer son sort, à l’exception des protégés, des récompensés ou de ceux qui bénéficient d’un statu quo désiré.
Ainsi, se déploie alors au vu et au su de tous, un ballet de négociations individuelles pour infirmer telle ou telle décision avec une interrogation récurrente : "à quoi ça sert de demander les aspirations individuelles des gens pour ne pas en tenir compte ?" Puis, surgit une autre question : "à quoi ça sert d’atteindre ses objectifs quand la récompense glisse vers un rival dont la qualité principale est d’exercer son brio politique ?" Puis, encore une autre question : "pourquoi dois-je changer d’équipe pour éviter le problème de mauvais management ?" Et enfin, toujours la même question : "où est parti le courage ?"
Mais pourquoi donc le dialogue est-il si pauvre ? Pourquoi peu de choses ont-elles de sens et peu de gens du courage ?
Désengager
C’est ainsi que progressivement, à force d’invisibiliser les gens, surtout les premiers engagés, l’entreprise se coupe de son énergie créatrice. C’est le chemin inéluctable de la ruine de l’engagement, résultat d’un dialogue en trompe l’oeil, d’une indifférence déguisée avec en plus aujourd’hui, les artifices du bien-être.
C’est la conséquence de l’écoute dissipée des dirigeants qui font mines de tendre l’oreille et d’acquiescer alors que la messe est dite. C’est aussi la liste sans fin de managers qui étouffent le bruit de la fronde et censurent la parole qui pose question pour interroger le sens des décisions et de l’action.
C’est l’engagement qui s’échappe pour se protéger ; c’est le temps de l’innocence qui déserte au profit des calculs plus ou moins vils, selon les individus. C’est la richesse de l’entreprise qui se met en pause, désespérée d’observer si peu d’intelligence du travail, sinon humaine.
C’est une réflexion de fond qui devient inévitable pour questionner le fond et non plus la forme ; c'est trop de temps perdu avec les sujets périphériques. C’est enfin le courage de se regarder en face pour changer, sans chercher forcément un outil, une plateforme en guise de béquille ; c’est apprendre à nouveau à faire marcher son cerveau car la vie en entreprise n’est pas un Monopoly. Ce sont des gens qui vivent, ressentent, grandissent, s’affaiblissent, gagnent ou perdent espoir. Ce sont des êtres vivants qui méritent de vivre le progrès du sens.