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Management

Le travailleur rangé

Publications — il y a 5 années

Le placard est une mise en retrait physique, psychologique et sociale.

1

Une violence à bas bruit 

À quoi ça sert ? À quoi je sers ? 

Le travailleur est théoriquement animé par ces questions car elles sont essentielles. Idéalement, chacun a envie de s’investir dans une entreprise qui a une noble mission reconnue par tous et dont la valeur est indiscutable ; mais mieux encore, chacun désire avoir une fonction utile qui donne du sens au quotidien parce qu’il en est ainsi : le travail doit avoir du sens. 

Alors que se passe-t-il quand travailler n’a plus de sens parce que l’entreprise organise délibérément le vide du travail ? C’est l’histoire sordide, mais fréquente des placards en entreprise. 

Savons-nous combien de personnes sont victimes de cette situation ? Personne n’ignore cette pratique qui juridiquement est apparentée à une catégorie de harcèlement moral dont la charge de la preuve repose sur la victime.

Ainsi, tout le monde parle de cette pratique comme d’une chose désagréable, mais savons-nous à quel point cette pratique est violente ? 

Au commencement, il s’agit d’une mise à l’écart ; c’est une sanction qui ne dit pas son nom. Elle résulte régulièrement de l’aboutissement d’un jeu politique, mais peut également être le fruit d’une incompétence, d’une punition, du désir de ne pas licencier une personne dont la retraite approche ou tout simplement être motivée par le désir de pousser une personne vers la sortie, sans aucune raison tangible. 

Le placard est un isolement brutal dont les effets sédimentent lentement. Dans un premier temps, le rôle change sans nécessairement porter atteinte au statut. Du jour au lendemain, l’agenda se vide, il n’y a plus rien à faire ; de fait, les moyens disparaissent en réponse au néant des responsabilités. Le temps devient une éternité et le sens s’enfonce dans des ténèbres presque irréels. Le rien occupe le quotidien. 

Cette situation est un jeux psychologique mortifère : le salarié est la victime d’une décision prise par un hiérarchique avec trop souvent la complicité passive ou active de la direction des ressources humaines.

Le salarié souffre d’une situation parfaitement inacceptable car le salaire ne fait pas disparaitre la maltraitance du quotidien. Venir chaque jour au travail et se voir dépossédé de tout est une tension dramatique qui diffracte l’estime de soi, la considération des autres et crée une frustration exponentielle qui se cristallise tôt ou tard en conflit dont l’issue peut être dramatique. 

En effet, le salarié persécuté fait face à trois conséquences qui le vulnérabilise.

2

La négation de l’utile 

Avoir un travail qui ne produit plus rien est inutile. Le salaire ne compense pas la lente destruction du travailleur qui s’opère dans l’entreprise. Le management organise tranquillement l’appauvrissement du quotidien, sans interroger l’impact de la perte de sens. Personne n’ose s’interposer et interpeller le bien fondé d’avoir une personne dépossédée de tout ; à quoi ça sert de garder une personne qui n’a rien à faire ? Beaucoup de personnes se posent la question, mais apparemment pas assez, car cette vieille pratique a encore de beaux jours devant elle. 

Au-delà du coût d’un placard pour l’entreprise, il y a le coût humain dont on ne parle pas assez. Souvent les articles sur le placard raconte les stigmates pratiques de la méthode, tout en faisant l’impasse sur les ressorts psychologiques de ce choix managérial. 

La victime d’un placard affronte, au jour le jour, une vacuité expérientielle qui déconstruit le savoir-faire du salarié si cela dure trop longtemps. Il s’agit clairement d’une mise à l’arrêt professionnel qui sonne le glas de tout apprentissage. Il n’y a pas d’actualisation des compétences et, d’ailleurs, elles ne sont plus évaluées, sinon négativement. Le travail ne crée plus de valeur contributive au développement de l’individu. Cette situation entraîne une fragilité mentale qui inscrit le doute dans la tête du travailleur qui commence à s’interroger sur ses qualités professionnelles ; il s’inquiète de son utilité absolue et peut se recroqueviller sur lui-même, comme pour se protéger. 

Le travailleur assiste alors impuissant à son retrait existentiel. Il ne compte plus, il n’existe plus, il devient invisible et pire encore il constate démuni qu’il est seul, livré à lui-même et ne bénéficie d’aucun appui. Ses collègues observent en silence, même si certains d’entre eux sont horrifiés, mais le plus violent est de comprendre que la direction des ressources humaines choisit de détourner le regard, voire de participer à cette mise à l’index cruelle et déshumanisante, non pas par adhésion, mais sans doute par lâcheté.

3

La dénutrition psychique 

Tout être humain a besoin de stimulation. Nous sommes ici dans le domaine sensoriel qui se caractérise par des contacts physiques et symboliques. Un salarié mis au placard est dans une situation de privation sensorielle qui a indéniablement un impact émotionnel. L’absence d’échanges sociaux déséquilibre le travailleur privé de l’attention la plus primaire, de rôle social, de considération et de reconnaissance. 

La mise au placard appauvrit singulièrement ou anéantit la dynamique d’interaction ; elle empêche le dialogue. Elle rend la réflexion inopérante et organise la destruction lente de ce qui définit le travailleur. Il n’y a plus de stimuli pourtant essentiel au développement de toute personne et cela porte atteinte à la survie psychologique. 

La mise au placard porte atteinte au besoin de reconnaissance. Elle attaque non pas un acte, un comportement, mais la personne. Elle envoie un message définitif et négatif sur la valeur de l’individu et acte son inutilité aux yeux des autres. Le travailleur doit en plus supporter le miroir de sa défaite dans le regard de ses collègues ; il vit un inéluctable déclassement social. Il n’a plus de rôle et ne bénéficie plus d’aucun signe de reconnaissance positive, verbale ou non verbale.

Cette situation fragmente inévitablement l’estime de soi ; elle jette le trouble sur l’amour de soi, la vision de soi et la confiance en soi. Elle vient dénaturer, altérer ou anéantir ces leviers constitutifs d’une bonne estime de soi. Le travailleur privé de toute dynamique nourricière en vient à douter de sa compétence et cela crée une brèche mentale plus ou moins importante qui percute l’affirmation personnelle, l’esprit de compétition, la capacité à décider et à faire des choix. Le travailleur affaibli et déséquilibré vit un réel sentiment d’échec et organise insidieusement son retrait, jusqu’à parfois se noyer dans l’alcool ou trouver un soutien dans des psychotropes ou pire encore. 

4

La disparition du sujet 

Le tragique du placard est enfin la disparition du sujet. Outre la négation du travailleur, il y a l’anéantissement de l’humain. L’entreprise assiste à son supplice et organise sa gradation jusqu’à l’insupportable. La douleur du travailleur est inaudible. Sa plainte n’est pas entendue. Son besoin que cela cesse est ignoré. 

Son isolement crée une présence spectrale ; le travailleur est une ombre fantomatique à la merci d’une entreprise qui très souvent n’exprime aucune demande. Elle ne formalise bien entendu pas la réalité d’un harcèlement moral caractérisé ; elle ne propose pas de négociation de départ ; elle ne met en œuvre aucun licenciement. 

L’entreprise détruit purement et simplement l’individu et regarde le spectacle de cette souffrance active et silencieuse en espérant naturellement que le travailleur craque d’une manière ou d’une autre et disparaisse. 

C’est une torture mentale qui semble déculpabiliser l’entreprise de toute responsabilité ; elle se donne le droit de disposer de la dignité du travailleur, au prétexte qu’elle lui verse un salaire. Et, selon l’histoire de vie du travailleur, il subit au lieu de partir. 

Certains arrivent à anticiper ce qui risque de leur arriver et actionnent leurs réseaux pour s’exfiltrer rapidement et poursuivre leur carrière ailleurs. Mais, beaucoup ne comprennent pas tout de suite ce qui arrive ; ils trouvent des excuses puis se mettent des oeillères, en espérant que le temps jouera pour eux. Beaucoup parient sur l’humanité de leur entreprise et imaginent que le supplice sera de courte durée. Le problème est quand il dure : la difficulté est de se relever et d’agir pour s’échapper quand le placard est mis en oeuvre depuis trop longtemps ; or, bien souvent, le constat du "trop longtemps" apparaît trop tard. 

Le placard finit inéluctablement par trouver un terme, soit parce que le travailleur est tombé gravement malade, soit parce qu’il attaque son entreprise, soit parce qu’il quitte de son propre gré l’entreprise ou bénéficie d’un plan de départ. 

Le défi devient alors la reconstruction du sujet et de manière sous-jacente la confiance du travailleur. Il s’agit de comprendre le mécanisme mis en place, de s’expliquer à soi-même cette prise au piège avant de redevenir un travailleur volontaire, confiant et plein de vie. 

Certains pensent que vivre une situation de chômage est pire qu’une mise au placard car la sécurité financière est préservée. À l’évidence, il n’en est rien. 

La pratique du placard est un problème de valeurs et de culture ; c’est un choix managérial qui interroge singulièrement la gouvernance de l’entreprise. Et, il serait temps que la direction des ressources humaines se lève pour dire stop car le placard est précisément la négation de l’humain.

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Le futur appartient à ceux qui voient les possibilités avant qu'elles ne deviennent évidentes.

Theodore Levitt