Gouvernance stratégique
Le management de l'essentiel
Actualités — il y a 4 années
"Le réel, c'est quand on se cogne." Jacques Lacan
Ce virus est bien une répétition générale pour reprendre l’expression de Cynthia Fleury ; il est aussi un stress test de la gouvernance des entreprises et surtout un incontournable reality check.
L’argent ne sera pas la solution à tout. Il s’agira surtout de diriger avec talent et imagination pour sortir en bon état de cette étrange aventure.
Et, pour les entreprises, la situation de cash immédiat mise sous contrôle, il s’agira de faire face à 3 essentiels : la stratégie, le travail, le client.
Stratégie
En temps normal, la revue stratégique est un incontournable ; mais, face à la violence et l’incertitude d’un événement tel que celui que nous vivons sur le plan mondial, aucune entreprise ne peut faire l’économie d’une revue stratégique.
Il s’agit bien d’une véritable analyse de fond et pas d’une analyse partielle et superficielle des fondamentaux.
L’enjeu est d’analyser l’état de l’écosystème, jusqu’aux concurrents pour être en capacité d’identifier clairement les opportunités et les menaces, de même que les forces et les faiblesses du marché et de l’entreprise.
L’urgence est de comprendre où sont les relais de croissance à court, moyen et long terme. Il faut étudier les perspectives à l’international, en dépit de la fermeture de nombreuses frontières, car le digital est un levier de contournement extraordinaire.
Et, le digital précisément est un véritable test ; il a été déterminant pendant la période de confinement car il était un atout formidable dans le cadre du télétravail, et en même temps, un avantage concurrentiel incroyable auprès des clients. Mais, le digital seul ne suffit pas, encore faut-il adresser correctement les usages salariés et clients. En effet, le digital tout comme le travail ne peuvent se passer d’intelligence, à peine d’être contre-productifs.
De plus, les opportunités offertes par les data sont déterminantes pour comprendre l’impact d’une offre de produits ou de services sur le marché. En particulier dans une période comme celle-ci, l’étude et la compréhension des données permettent d’ajuster en réel le curseur du marketing et de la communication dont l’impact sur la dynamique commerciale peut être significatif.
Ce sont ces fameuses données qui vont permettre de définir l’analyse de la valeur client pour appréhender le comportement des clients et le potentiel commercial de chaque segment. C’est un travail rigoureux qui peut entraîner une croissance importante du chiffre d’affaires si les problématiques sont adressées et monitorées correctement. C’est également le moment pour faire une critique lucide de la chaîne de valeur client et déterminer les axes de progrès avec un indicateur de criticité.
Ce sont des sujets immédiats qui peuvent créer un impact rapide ; cela ne soit pas empêcher une réflexion sérieuse sur la stratégie de diversification et le positionnement de l’entreprise en matière d’ESG.
Le sujet de la raison d’être est un autre chantier judicieux à ouvrir, mais cela prend du temps et peut avoir un effet déceptif auprès des salariés si le projet est mal piloté.
C’est en développant une vision sur ces points précis que vous serez en capacité d’avoir une gouvernance du capital humain adaptée. Vous pourrez ajuster l’allocation de ressources selon les points chauds et les points froids et surtout affecter les bonnes personnes aux bons postes et sur les projets les plus pertinents pour créer de la valeur rapidement.
Ce type de crise doit faire l’économie des considérations statutaires ampoulées pour aller directement à l’essentiel des compétences et du talent des uns et des autres. C’est la raison pour laquelle, associer la direction des ressources humaines à l’ensemble de ces réflexions est quelque chose de fondamental. Elle doit travailler en collaboration avec les directeurs opérationnels pour élaborer un plan de succession et identifier de manière précise les talents essentiels à l’entreprise, soit ceux dont elle ne peut pas se passer pour des raisons techniques, métiers, pénuriques ou tout simplement de génie professionnel (intellectuel et/ou émotionnel).
Puis, viennent les décisions drastiques ; il y a les coûts non essentiels à réduire, les échéances à (re)négocier, mais surtout le moment est crucial pour acter les activités à abandonner, à créer, à développer ou à réduire.
C’est ainsi que Maïf choisit de confirmer le lancement d’une offre sur le marché du dommages entreprises, M6 choisit de céder sa filiale de téléachat, tandis que l’assureur Alan part à la conquête de l’international et PSA réduit sa surface immobilière.
Bien entendu, ces réflexions stratégiques doivent se transformer en décisions tactiques ; et celles-là ont bien entendu un impact sur le travail.
Travail
Le danger est de réduire la réflexion sur les modes de travail au télétravail.
Il va sans dire que le confinement a transformé l’organisation de l’entreprise, au moins pendant un temps, dans une logique d’horizontalité, sans toutefois s’aligner sur le modèle de l’entreprise libérée.
À entendre les récits, ici ou là, beaucoup d’entreprises ont tâtonné ; des managers se sont sentis démunis, tandis que des collaborateurs se sentaient libérés ; certains ont transposé leur mode oppressif en digital oppressif et d’autres ont été submergés par des réunions zoom en tout genre et des mails de reporting.
Il y a eu une ligne informelle, mais claire des essentiels : les métiers ou les collaborateurs qui étaient profondément utiles alors que l’indolence de l’ennui frappait certains.
Le déconfinement est donc le moment d’un inévitable bilan pour réorganiser le travail en capitalisant sur ce qui a fonctionné, en reconnaissant ce qui a « foiré » et en actant les axes de progrès.
Comment réorganiser le travail avec un virus qui continue de circuler et de se faire menaçant ?
Plutôt que d’éviter de tomber dans le piège de la bureaucratie, le temps est certainement venu de questionner la valeur travail de l’entreprise. Travailler plus ou travailler mieux ? Ce choix est déterminant car il n’impulse pas les mêmes comportements.
Cet arbitrage de l’un ou l’autre implique une réflexion sur la culture du travail, la place de la confiance entre les personnes, la manière dont ils jouissent ou pas d’une autonomie raisonnable et enfin le rapport réel à l’innovation et, par capillarité, l’espace laissé à l’esprit d’initiative.
Il est également essentiel de faire preuve d’agilité dans les décisions à prendre sur le plan humain, en nécessaire cohérence avec les orientations stratégiques.
Encore une fois, le mode de travail n’est pas réductible au temps de travail et au télétravail. C’est aussi une certaine vision du travail, de la notion de responsabilité et de résultats. Quel équilibre entre la performance quantitative et qualitative ? Comment faire mieux avec moins car la politique du moins, mais mieux est une fatalité par les temps qui courent ?
La clarté des enjeux stratégiques facilitent indéniablement les arbitrages en matière de formation : Qui ? Pourquoi ? Comment ? Combien de temps ? Quel(s) financement(s) ?
C’est aussi le moment d’autoriser des congés formation pour ceux qui songeraient à aller voir ailleurs, avec la bénédiction de l’entreprise.
Une vraie réflexion sur le travail d’équipe semble incontournable tant les retours d’expérience sont peu inspirants. Qu’est-ce qu’une équipe ? Qu’est ce qu’un travail d’équipe ? Quel équilibre entre les différents acteurs de l’équipe ? Comment juguler le faire-savoir au profit du savoir-faire ? Comment récompenser les bonnes personnes ? Comment valoriser la coopération, voire encourager la coopétition ? Comment organiser des réunions de qualité ? Comment catalyser l’intelligence du travail pour créer le meilleur impact possible ?
Certains sujets peuvent par ailleurs demander une co-fonction, à égalité, sans lien hiérarchique. Et ce n’est pas nécessairement du temps partiel. À titre d’exemple, Netflix vient de nommer Ted Sarandos, responsable mondial des contenus de la multinationale, au poste de co-PDG, au côté du patron historique Reed Hastings. La complémentarité des hard et/ou des soft skills peut parfaitement justifier une telle décision qui ne doit pas être vécue comme un centre de coûts. En effet, en matière d’innovation, le mariage du pragmatisme et de l’idéation peut faire des miracles.
Et si l’entreprise doit véritablement s’inscrire dans une logique d’austérité de la masse salariale, il y a différents leviers avant les licenciements ; l’entreprise peut traquer et mettre un terme au bullshit jobs ; elle peut utiliser le dispositif de chômage partiel pour les collaborateurs les plus fragiles et négocier des congés sans solde pour les plus privilégiés, pendant une période déterminée. Et c’est seulement si l’ensemble de ces mesures ne fonctionnent pas que le licenciement apparaît comme une bonne idée, à ceci près que ceux qui sont identifiés comme arrivés au terme d’une collaboration fructueuse avec l’entreprise doivent savoir partir, de manière accompagnée, mais d’une main ferme.
Cet alignement entre la stratégie et le travail permet de se concentrer de manière efficace sur le client.
Client
Le COVID-19 a été un accélérateur inattendu du digital. La mise à l’arrêt de l’économie physique a déporté l’enjeu commercial sur le digital pour faire basculer le plus grand nombre de clients dans une nouvelle dimension. Ainsi, des millions de clients se sont convertis au digital, certes en marche forcée, pour avoir le service qu’ils attendaient.
Et la question des nouveaux usages s’est posée pour les entreprises et les marques qui venaient au digital sur le tard, de même que pour les clients qui ont dû suivre le mouvement ; il y a donc cette phase inévitable d’apprentissage des réseaux sociaux qui s’inscrit au cœur des préoccupations, et avec eux, la stratégie des Ads, à défaut d’avoir une agence de communication pour assurer la stratégie digitale.
Les acteurs économiques comprennent que le digital est un levier puissant de communication, d’information et de proximité dont il est difficile de se passer quand le contact humain est empêché. C’est l’étape 0 avant celle de créer une vraie communauté fidèle et interactive qui a, par ailleurs, un pouvoir réel de prescription.
Sauf que le digital prend du temps, qu’avoir une influence digitale prend du temps, même si la ligne éditoriale est de qualité.
L’enjeu est de renseigner, conseiller, fidéliser, puis finalement de vendre à une audience qui n’est pas là par hasard.
Certains secteurs ont mis en place des pré-ventes, d’autres industries comme celle du luxe doivent mener un autre type de réflexion car le digital ne sera pas suffisant.
Alors comment engager sur le plan commercial une clientèle dont l’achat représente des milliers et des milliers d’euros ? Grâce à la maturité de son approche digitale, Tesla s’appuie sur la connectivité globale de son dispositif pour faire des livraisons sans contact ou proposer des essais sans contact. Alors que l’industrie automobile traditionnelle était à l’arrêt, Tesla continuait de faire son métier grâce à son agilité, son inventivité et sa détermination dans l’exigence à trouver des solutions pour satisfaire au mieux ses clients. L’équation est cependant plus complexe dans le monde de la mode à cause de la barrière sanitaire des essayages. Mais, il est certain que des solutions sont possibles à imaginer pour renforcer les pré-ventes. Et c’est également une magnifique occasion d’allier le sur-mesure au digital, en passant par les data pour créer des catalogues sur-mesure répondant aux habitudes d’achat et/ou de consommation des clients.
Ce virus est une tragédie sanitaire et économique, mais il oblige tous les acteurs à reconsidérer mieux le client. Et ce sont malheureusement ceux qui mèneront les réflexions les plus innovantes, agiles et tournées vers le client qui tireront leur épingle du jeu.
Le COVID-19 est un cynique game changer qui pousse les entreprises vers un horizon d’excellence pour continuer d’exister.
-
La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.