Transformation
L'arc narratif des ressources humaines
Publications — il y a 4 années
Les ressources humaines sont-elles à la hauteur ?
Une autre question : à quel moment les ressources humaines sont-elles sorties du jeu ?
La question est légitime tant le rôle des ressources humaines est décrié ; son impact est contesté... partiellement cependant. Peu de gens imaginent ce que serait la vie d’une grande entreprise avec les ressources humaine en grève ; une direction des ressources humaines à l’arrêt entraînerait une déroute administrative d’un grand nombre de grandes entreprises ; les ressources humaines ont a minima la responsabilité de la gestion administrative des salariés : recrutements, licenciements, démissions, mobilités, promotions, congés, RTT, paies, formation et une longue liste de choses invisibles peu valorisées par la société tant les gens se sont habitués.
Le problème est que peu à peu, au gré de la complexité du marché, de l’évolution des attentes, puis des nouveaux besoins de la société, la direction des ressources humaines n’a pas validé sa place.
Il y a eu l’époque des plans sociaux, des réorganisations massives dictées par l’injonction de performance opérationnelle ; l’entreprise a alors basculé sous le joug de la direction financière qui a pensé l’entreprise avec des ressources élevées au rang de commodités, humains inclus. Aussi, la direction des ressources humaines s’est vue transformée en bras armé de la direction financière, sans avoir véritablement droit au chapitre. L’incohérence, l’absurde et parfois même la violence ont supplanté toute réelle stratégie des ressources humaines, alors dépossédées de tout sens.
Rares sont les directions des ressources humaines qui ont su faire valoir leur courage pour s’opposer à des décisions qui se révèleraient régulièrement contre-productives. À bien analyser le rythme des réorganisations qui a ponctué un grand nombre d’entreprises, il n’est pas faux de dire que beaucoup d’organisations se sont cherchées et se cherchent encore aux dépens des individus. Et la direction des ressources humaines suit en dépit de son sentiment réel. Elle accompagne les décisions, s’exécute en silence car elle ne se sent pas légitime pour se hisser au rang de la direction financière et de la direction de la stratégie. C’est ainsi, de nombreuses directions des ressources humaines se sont persuadées qu’elle n’étaient pas éligibles à penser la stratégie de l’entreprise et par capillarité à challenger la nature même des décisions en dissonance avec le bon sens humain.
C’est en tous les cas le sentiment de millions de salariés qui se demandent souvent à haute voix à quoi peut bien servir la direction des ressources humaines.
Voilà donc une fonction ingrate, un métier qui, en dépit des avis contraires, a de grandes responsabilités malgré son petit pouvoir. Encore faut-il qu’elle arrive à s’en convaincre et l’urgence est à nos portes. Nous sommes dans un contexte de transformation mondiale unique. Tout change et l’humain est au cœur des enjeux du numérique et de la société.
C’est un moment qui fait simultanément un procès en incompétence aux ressources humaines tandis que les directions transformation, innovation et digital lui damnent également le pion. Alors, les ressources humaines sauront-elles restaurer leur place centrale au milieu de toutes ces mutations ? Est-ce possible d’y croire quand la fonction se laisse activement envahir par une multitude d’applications ayant vocation à la soulager de son travail, mais en réalité à la remplacer dans la part la plus noble de son métier ? Comment une telle coopération est-elle possible ?
Comment ce métier se laisse-t-il détourner de son devoir de regarder à travers les humains pour précisément réussir à déceler leur singularité ? Comment ce métier accepte-t-il de déléguer les réflexions préalables à la performance du capital collaboratif à des applications ? Comment ce tout qui semble être aspiré par des plateformes peut-il avoir le consentement d’une fonction à qui il ne reste presque plus rien, alors même que le moment exigerait au contraire qu’elle nous offre son génie ?
Comment inverser la donne quand la fonction a participé de manière passive, sinon active, à la codification du système qui pendant très longtemps a laissé prospérer des règles absurdes, faisant fi du talent absolu des collaborateurs ? En cohérence avec la culture statutaire française, les diplômes ont toujours fait la loi, dans le respect d’une hiérarchie très claire ; puis, le management a supplanté l’expertise au point de transformer de manière contre-intuitive des experts en managers, au mépris des dégâts sur les équipes et sur les résultats ; le faire-savoir a régulièrement dominé le savoir-faire et le pire a été l’exclusion tranquille des jeunes, de la diversité et des seniors de l’entreprise. La direction des ressources humaines a contribué à laisser s’installer ces dérives qui ont peu avoir avec l’humain dans les organisations. Alors, mécaniquement, la confiance s’est effritée ; elle s’est évadée car une fonction qui devait tout avoir avec l’humain, en a montré si peu. Des millions de gens se sont laissés mécaniser dans leur travail, au point de ne plus poser de questions, mais surtout au prix du développement global de leur employabilité. Voilà que demain, la valeur centrale de tout individu sera envers et contre tout son employabilité, sa capacité à se réinventer en diverses circonstances, à avoir une lecture agile de ses compétences pour les réinterpréter encore et encore afin de sanctuariser son employabilité. Et comment faire ceci quand des années durant, cet agenda n’a pas été au programme, sinon pour les cadres supérieurs et les dirigeants de l’entreprise ?
Comment remettre la fonction ressources humaines au centre du jeu, car il vaudra mieux compter avec elle que sans elle ? Il est donc vital pour la direction des ressources humaines d’aller vers la disruption d’un vieux modèle qui, en dépit de son utilité, n’a pas su faire ses preuves en termes d’impact. Il est crucial que ce métier investisse la stratégie, la transformation et le digital, sans demander la permission. Le métier doit se mettre à la page pour trouver la bonne manière de faire basculer les collaborateurs, en particulier les plus vulnérables, vers un monde d’incertitudes où seules l’autonomie, l’intelligence, la créativité et l’agilité feront la différence. Nous quittons un monde d’étiquette métier vers un univers qui célébrera la compétence au sens de potentiel. Il s’agira de trouver un équilibre vivant entre les hard et les soft skills pour tous.
Le moment est clef, mais il peut être inaugural et cela ne peut être que le fruit d’une décision fondamentale. La direction des ressources humaines doit faire sa révolution, au même titre que nous tous. C’est un métier extraordinaire dont la valeur perçue ne doit plus faire aucun doute car il est responsable du meilleur atout de l’entreprise : son capital immatériel.
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La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.