Talent Strategy
À la recherche du talent perdu
Publications — il y a 4 années
"Les leaders courageux ne se taisent jamais sur les choses difficiles." Brenée Brown
Le talent est une matière sensible.
Toutes les entreprises communiquent sur leurs talents (supposés). Les plus grandes ont leur "top of the top". Elles créent des programmes spéciaux pour leur dire combien ils sont précieux et utiles. Pour eux, elles sont prêtes à tordre quelques règles.
À première vue, le sujet est simple, mais en réalité, il n’en est rien. Peu d’entreprises connaissent vraiment leur potentiel collectif. Peu d’entreprises managent véritablement leurs ressources humaines. Elles structurent souvent quelque chose de plus autoportant pour les talents, mais ceux-là sont-ils épanouis ? Se sentent-ils appréciés à leur juste valeur ? Ont-ils l’espace suffisant pour exprimer leurs idées ?
Certains dirigeants osent avouer qu’à leur humble avis, leur entreprise n’aime pas les talents car elle ne sait pas les gérer. Alors justement, qu’est qu’un talent ? Est-ce le bon profil classique : le collaborateur bien sous tout rapport : bonne formation, expérience linéaire, sens politique, sens de la hiérarchie, solidaire plutôt que solitaire ? Ou est-ce le collaborateur singulier qui a irrémédiablement quelque chose en plus, une parole singulière, une pensée originale, une conscience morale et collective et bien entendu une vision, une liberté de ton ainsi que le courage de ses convictions et de certaines de ses intuitions.
Pas besoin d’être grand clerc pour affirmer que le premier type de talent est le registre préféré de la majorité des organisations. D’ailleurs peu d’entre elles posent des questions atypiques en entretien pour déceler une manière particulière de penser, de débattre et de se positionner. Le paradoxe du marché est de célébrer le talent, tout en voulant le normaliser pour qu’il ne déborde pas, pour qu’il ne dérange pas.
De plus, combien de salariés disent en chuchotant que leur manager n’aime pas recruter des gens plus intelligents qu’eux ; alors brillants, n’en parlons pas !
Nous sommes pourtant confrontés à une profonde mutation du travail qui met le talent des individus au cœur des réflexions stratégiques pour contribuer à imaginer les fondements du monde qui vient et tenter d’anticiper les impacts sur l’entreprise.
Alors, quels leviers pour sortir de ce non-sens ?
Peut-être réhabiliter le feedback ? Cette pratique qui renforce le dialogue entre salariés, pose le curseur de l’exigence, met le réel à l’agenda et surtout le progrès au cœur des enjeux ; renouer avec cette pratique qui, à l’origine est bienveillante, mais challengeante, l’enjeu étant de confronter les uns et les autres à la juste part de leur contribution, sans complaisance, mais dans l’esprit d’une rude empathie. La culture du feedback est donc un sujet de fond qui devrait être à l’agenda des priorités pour sortir de tout satisfecit collectif qui ne mériterait pas sa tranquillité.
Steve Jobs disait "Je ne crois pas être trop dur avec les gens. Mais si leur travail est nul, je leur dit en face. Mon rôle est d’être honnête. Je sais de quoi je parle et souvent, il s’avère que j'ai raison. Voilà la culture que je me suis efforcée d’imposer. Chez Apple, nous cultivons l’honnêteté brute." Il poursuit en expliquant "J’ai été dur avec certaines personnes, sans doute plus que nécessaire. Je me rappelle la fois où j’étais rentré chez moi et que je venais juste de renvoyer un type. J’imaginais combien ce serait difficile pour lui d’annoncer à sa famille et à son jeune fils qu’il avait perdu son job. C’était rude. Mais quelqu’un devait faire le sale boulot. C’était mon rôle de m’assurer que l’équipe soit excellente, car personne d’autre ne l’aurait fait à ma place." Faut-il être entrepreneur pour trouver ce courage-là de manière constante et disciplinée ? Ou faut-il tout simplement comprendre l’impact que cette honnêteté brute a sur les réalisations de l’entreprise, à partir du moment où tout le monde est logé à la même enseigne. Adopter le langage de vérité au sein de l’entreprise, c’est une culture qui a du sens dès lors qu’on lui en donne.
Une autre piste est la culture du pouvoir. Certains ont peut-être entendu parler du paradoxe du pouvoir soit la manière dont le pouvoir crée des biais de comportement qui portent atteinte à la concorde de l’entreprise en diffractant la confiance, la sérénité et le dialogue de vérité au profit de la peur, du faux-semblant et du courage en fuite pour préserver sa paix mentale. En effet, différentes études démontrent la chose suivante : alors que les gens gagnent habituellement du pouvoir par le biais de traits de caractère et d’actions qui font progresser les intérêts des autres, comme l’empathie, la collaboration, l’ouverture d’esprit, l’impartialité et le partage, ces qualités viennent à s’estomper lorsqu’ils commencent à se sentir puissants ou bénéficient d’une position privilégiée. Les puissants sont plus susceptibles que les autres de se livrer à des comportements grossiers, égoïstes ou immoraux (source Harvard Business Review).
Ainsi, à l’heure où beaucoup d’entreprises parlent d’organisation horizontale, d’agilité et d’humilité, ce type de biais tout à fait caractéristique d’un vieux système continue d’être une entrave au partage du pouvoir ?
Pour conclure, posons-nous quelques questions : combien d’organisations osent formaliser les pertes et les profits des comportements déviants ? Combien de ces comportements annihilent le talent au lieu de le libérer ?
À quel moment, la majorité des dirigeants décideront-ils de résoudre cette équation fondamentale du talent ? En attendant, le temps passe et les entreprises qui savent réveiller leur génie collectif font la course en tête, elles dament le pion aux concurrents lents et craintifs qui n’ont besoin de personne pour s’enlever de la force.
Les financiers n’ont de cesse de vouloir quantifier le capital immatériel ; ils veulent des chiffres, des indicateurs et utilisent des KPI usuels, alors qu’ils leur suffiraient de réaliser un pivot mental pour évaluer les pertes significatives de l’entreprise qui s’appauvrit de ses ressources lorsqu’elles brident l’énergie créatrice de ses propres talents.
Il est plus que temps que les dirigeants de l’entreprise adoptent un autre regard sur la notion même de capital : il y a le capital matériel et le capital immatériel ; mais l’un ne domine pas l’autre. Ils sont interdépendants et se nourrissent mutuellement au profit de la croissance de l’entreprise, si les fondamentaux principiels sont bien respectés.