Pouvoir
La puissance morale
Publications — il y a 2 années
"Dans le calme est la force." Angela Merkel
Changer le monde n’est pas qu’une question d’argent ; c’est aussi et avant tout une question de comportement. Trop souvent, le débat public parle de nouvelles orientations stratégiques. Nous assistons alors à des débats polarisés : pour ou contre. Mais finalement, peu de personnes appellent à une chose simple : transformer le pouvoir. C’est une des rares choses fondamentales qui ne coûte pas d’argent, mais qui peut faire une grande différence, tant dans les affaires publiques que dans les affaires privées.
Il serait très facile de considérer ce propos naïf, mais l’heure est à la célébration d’Angela Merkel. Une femme puissante qui achève sa carrière politique en tant que Chancelière, en Allemagne, après seize ans au pouvoir. Elle aurait presque pu briguer un nouveau mandat et il y a fort à parier qu’elle aurait pu gagner, encore.
Mais quel est donc le secret d’une stabilité si permanente et sans fracas ? La réponse tient sans doute à la fois de l’humain et du rapport au pouvoir.
La manière d’être au monde compte ; elle est même essentielle tant elle structure le style du pouvoir qui sera exercé.
Angela Merkel n’est pas une femme de style, c’est une femme de caractère ; un caractère fort, mais simple et qui s’ancre dans une forme de proximité qui sait tout de même tenir les gens à distance. Elle ne se répand pas en indiscrétions, elle a tout simplement le cœur à l’ouvrage. Elle manie avec finesse l’art de l’écoute et y répond avec subtilité, tout en étant franche et directe.
C’est une femme dont la pensée claire et précise lui permet de s’exprimer avec les mêmes attributs, tout en utilisant à merveille le temps pour consolider ses hésitations.
Angela Merkel est un dirigeant qui comprend la valeur du temps ; elle s’inscrit, selon les circonstances, dans le temps aïon, le chronos ou le kairos. Elle est attentive au sens des séquences ; elle observe avec attention son environnement et témoigne du respect à l’humain dans toute sa différence ; elle s’économise, de fait, un certain nombre de préjugés préconçus.
Elle a montré tout au long de l’exercice de son pouvoir qu’elle est une femme de principes qui sait, par ailleurs, jouer avec les combinaisons de son pragmatisme moral et de son courage, même insensé, quand les circonstances s’y prêtent, au nom de la décence commune.
Angela Merkel calcule ; elle se montre naturellement attentive à l’impact de ses décisions, sans se montrer toutefois obsédée par le poids de son héritage. Elle dirige avec une conscience morale qui la chahute raisonnablement et la confronte à chaque fois que nécessaire avec le bien ou le mal.
Diriger de manière morale implique de travailler dur, "de ne pas ménager sa peine" pour reprendre les mots d’Angela Merkel. Il ne s’agit pas seulement de maîtriser ses dossiers, mais d’en comprendre le sens pour donner une cohérence de fond à son action, même si celle-ci semble impopulaire ou incomprise dans l’instant.
Angela Merkel est le gardien du temps ; elle analyse d’abord avant d’agir et montre une discrète, mais redoutable habileté politique. Elle est douée dans l’art du double jeu, mais s’en sort à bon compte car elle sait utiliser la vanité des autres, sans l’être elle-même. Elle raisonne avec une profonde rationalité et compréhension de l’histoire ; elle s’est donc révélée être un monstre de patience et de prudence pour négocier des compromis qui permettent d’avancer, toujours, même en situation dégradée.
Elle est un maître du jeu dont l’autorité s’exprime, sans rivalité. Elle est là pour servir une cause, sans faillir, non pour se laisser emporter dans l’abîme de l’hubris ; ce n’est pas son sujet. Son propos est d’exercer simplement le pouvoir, de manière sérieuse, crédible et de décider sur une base solide et argumentée. S’il le faut et c’est très souvent le cas, elle sait pousser son intelligence tactique à son paroxysme pour devenir une féroce joueuse d’échecs. Mais ce n’est jamais pour la beauté du geste. C’est toujours au nom de la prévalence d’un dossier qui s’inscrit dans un grand tout.
L’héritage d’Angela Merkel est d’avoir diriger dans le respect rigoureux des institutions avec la volonté farouche de résoudre concrètement les problèmes et en assumant ses responsabilités, jusqu’aux conséquences. Elle a un sens du devoir qui s’exprime dans l’accomplissement du travail bien fait.
Et si changer le monde commençait par prendre le chemin de ce type de pouvoir ? J’en terminerais ici avec une phrase de Václav Havel qui l’a marquée en son temps et sans doute lui parle encore : ❛L’espoir, ce n’est pas la conviction qu’une chose se termine bien. C’est la certitude que cette chose fait sens, quelle que soit la manière dont elle se termine.❜
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Nicole Degbo