La jouissance de la métamorphose
Publications — il y a 3 semaines
Dans la vie du travail, il n’y a rien de plus beau qu’une organisation qui bouge.
Le pouvoir transgressif
La transformation exige de la transgression ; cela semble évident, mais dans les faits, c’est sans doute le combat le plus difficile, au départ. Transgresser, c’est aller à l’encontre des habitudes et de l’ordre établi. C’est par nature, une embardée en dehors de la zone de confort.
C’est donc le mouvement d’une vision qui va loin, en confiance. C’est accepter le coût de l’exploration, à savoir du temps, de l’approximation transitoire, le temps de caler les bons repères ; c’est aussi faire face à la réticence des tenants de la résistance au changement qui, parfois, ont le pouvoir de convaincre les plus ouverts que faire autrement n’est pas réellement nécessaire.
La transgression murmure un vent de liberté et le goût de l’aventure, surtout quand les changements sont à l’avant-garde.
C’est important de souligner cela car certains dirigeants sont volontaires, mais se heurtent aux dogmes de l’entreprise. Les plus compliqués sont ceux qui touchent à la paix sociale. Certaines entreprises ont pour principe de ne jamais licencier sauf "meurtre entre amis". Cette position qui est souvent motivée par une bienveillance sociale a un coût élevé : l’impunité. Certains collaborateurs se sentent intouchables et abusent de la générosité du collectif. Le pire que j’ai pu observer depuis que je fais ce métier, c’est l’inertie de certains managers de haut niveau qui ne se sentent pas embarrassés de pénaliser les équipes qui comptent sur eux et, de fait, leur font confiance.
Ne pas avoir le pouvoir de transgresser ce privilège social est un handicap qui diffracte l’exemplarité alors même que c’est un des fondements du contrat social.
La transgression est aussi le fioul de l’innovation, en osant aller vers des nouveaux chemins, en imaginant de nouveaux modes opératoires, de nouveaux produits ou de nouveaux services afin de proposer une expérience nouvelle qui crée avant l’heure ce qui va arriver.
La transformation demande d’avoir du pouvoir sur ce qui compte précisément parce que cela peut faire une différence. Mais, cela n’est pas suffisant ; encore faut-il faire avec les équipes.
"Fer avec"
Cette histoire d’équipe est essentielle. Un grand nombre de projets échouent car ils sont pensés par les dirigeants, communiqués pour information et partagés aux collaborateurs qui subissent alors une orientation à laquelle ils n'adhèrent pas toujours car peu cohérente avec la réalité du terrain.
Encore une fois, mon expérience montre que le chemin le plus difficile est souvent le meilleur. Choisir de transformer avec les équipes est un ralentissement qui doit être assumé. Comprendre le cadre de gouvernance de l’entreprise prend du temps ; cela implique de dialoguer, de questionner, de comprendre et d’accepter ; ce qui veut dire que l’équipe n’est pas toujours aussi performante qu’elle le croit et qu’elle voudrait. Il est donc nécessaire de gérer cette première blessure narcissique.
Ensuite, il faut créer une phase de débats francs et nourriciers pour libérer la parole et se rapprocher au plus juste de ce qui est fait et peut être défait. C’est un exercice de lâcher-prise qui implique de challenger le statu quo, de gérer les frustrations du progrès nécessaire et donc de l’imperfection à parfaire. Cela veut dire créer une "safe place" qui garantit aux équipes que la franchise ne sera pas punie, au contraire. C’est un bel exercice de courage individuel et collectif qui est une rampe de lancement à des pas plus grands vers la transformation.
Donc, il n’est pas incohérent de dire que faire avec, c’est aussi fer avec ; cela demande une volonté de fer de poursuivre un cap lorsque les équipes sont rétives car elles ne comprennent pas immédiatement le sens. Et cela n’est pas rare. En huit ans, je n’ai jamais vu une équipe parfaitement alignée avec le diagnostic des dirigeants. Souvent, les équipes sont a minima un cran en-dessous, ce qui témoigne soit d’un problème de communication ou d’un réflexe conscient ou inconscient de protection des équipes. Il m’est arrivée d’intervenir dans un contexte de crise auprès d’équipes qui étaient dans le déni ; mais, la situation la plus fréquente est une mauvaise appréhension des enjeux stratégiques et un manque de réflexion sur les vulnérabilités de l’entreprise au regard du marché. Ces fragilités sont souvent alimentées par l’immersion excessive dans l’opérationnel de ceux qui doivent, en théorie, investir la stratégie, et notamment la prospective.
Ces angles morts ont un impact très important sur l’agenda de transformation car avancer quand personne ne comprend est la garantie d’échouer. Il est donc indispensable de trouver un équilibre permanent entre la gouvernance stratégique et la gouvernance humaine pour faire avec les équipes et gérer le facteur temps.
Le temps long
La transformation est une histoire. C’est une manière de relier les points entre un passé qui éclaire le présent, un présent qui éclaire l’avenir et une vision d’avenir qui nourrit les réflexions du présent. C’est un ruban de Mobiüs qui construit une transformation pleine de sens dans le respect de l’histoire. Et, il faut prendre le temps de faire ces liens ; il faut prendre le temps de partager, d’expliquer et de faire la pédagogie du changement pour créer une adhésion féconde.
Cette danse avec le temps permet aux équipes de s’approprier douloureusement, puis de plus en plus en douceur les faits qui justifient que quelque chose doit changer. C’est ainsi qu’elles deviennent progressivement des vrais acteurs du changement avec un véritable espace pour participer et mettre à profit leur expérience globale et leur ancienneté au sein de l’entreprise.
Le défi est de réussir à impliquer une large partie de l’entreprise sans la mettre à l’arrêt. Cela implique de créer des moments à travers des cercles plus ou moins larges selon les étapes et les enjeux.
Le succès de la transformation repose sur le dialogue avec l’ensemble du corps social. Aussi, il faut savoir prendre le temps de rencontrer les équipes pour rendre compte des phases passées et à venir, avec une mise en lumière des réalisations. Cela permet d’intégrer leurs remarques et de leur montrer que le travail est en cours de réalisation. En revanche, il faut s’organiser pour travailler autant que possible avec le corps managérial et cela implique les managers de proximité car ils ont un rôle déterminant dans la réussite de la conduite du changement.
La tentation est de négliger ces phases de récit pour gagner du temps, mais souvent, l’entreprise en perd. Cette exigence de contribution implique de varier les séquences pour que la conversation soit accessible à tous. Et c’est possible d’aller dans ce sens sans tomber dans la facilité. Cela demande donc de l’imagination pour créer des formats qui créent les bonnes conditions du dialogue, de la créativité, de la détermination pour embarquer le plus grand nombre, en même temps un pilotage ferme du temps pour imposer une exigence de résultats et donner ainsi un sens opérationnel à l’exercice.
La transformation répond à une approche méthodique, mais qui se doit de rester agile. Et quand cela réussit, le spectacle de la transformation est une jouissance de la métamorphose qui se nourrit inlassablement des victoires de la négociation. C'est une histoire intense qui doit avoir une fin et dont la mise en scène est une histoire de passion, de vision, d'anticipation et de discipline ; elle est vivante, charnelle et se compose de rebondissements, de revirements et de mise en abîme, sans jamais trahir le cap.
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La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.