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La facture du voyage responsable
Actualités — il y a 2 années
"Un problème sans solution est un problème mal posé." Albert Einstein
Des fractures devenues structurelles
Rarement un secteur aura rencontré simultanément autant d’enjeux de durabilité fondamentaux.
Le voyage est en crise ; depuis la crise sanitaire, le tourisme est sous respiration artificielle. La démultiplication des variants et leur viralité maintient toute l’industrie dans une reprise fragile et incertaine.
Les pertes sont vertigineuses ; depuis deux ans, le secteur du voyage a perdu près de 4. 000 milliards de dollars et environ 75% de la clientèle étrangère. De plus, une cinquantaine de pays ont encore leurs frontières fermées.
Quant au variant Omicron, il est un rappel cinglant à notre vulnérabilité collective ; le monde est interdépendant sur le plan sanitaire et devra s’organiser pour équilibrer le taux de vaccination à l’échelle de la planète pour tenter de reprendre enfin le contrôle de la situation.
Cette crise sans fin est donc une épreuve sans date limite qui met à rude épreuve les nerfs des acteurs de la profession, tout en créant une fracture entre les entreprises riches et les entreprises pauvres. Au sortir de la crise, quand les aides auront totalement cessé et que de nouveaux comportements seront définitivement cristallisés, un nombre significatif de faillites sera prévisible tandis que les survivants seront occupés par un impératif de transformation systémique.
Un réveil déflagratoire
Cette crise est clairement un (green) wake-up call qui impose l’injonction de voyager autrement.
Le voyage sera expérientiel ou ne sera pas. L’analyse des données sera un atout majeur pour comprendre les attentes du marché et construire des solutions sur-mesure, en capacité d’y répondre de manière précise et donc segmentée.
La tendance qui se dessine, tant sur le marché des entreprises que des personnes, est celle du "moins, mais mieux" ; le voyage d’affaires accuse une perte de 70%, sachant qu’il reviendra difficilement à son niveau d’avant-crise car de nouveaux usages se sont développés grâce au digital, au point d’interroger sur le fond la pratique. Les voyages seront sans doute moins nombreux, mais plus longs, et plus immersifs ; la crise a montré que prendre l’avion pour s’enfermer toute la journée dans une chambre d’hôtel n’a plus beaucoup de sens. De même, sur le segment des particuliers, la part belle est donnée au voyage-concept individuel, aux dépens du voyage de groupe.
De la même manière, le tourisme de masse va évoluer vers un tourisme populaire, mais plus confidentiel.
Ces nouvelles tendances sont indissociables de nouvelles approches du voyage. L’avion va devoir accélérer sa mue avec un effort conséquent de décarbonation, une politique de reforestation, un écosystème à optimiser, notamment grâce à l’électrique et au carburant vert pour dépolluer le principe même du voyage.
L’offre d’hébergement va devoir intégrer le désir de voyager dans des lieux moins industriels, au profit de boutiques-hôtels, d’hôtels de charme et, bien-sûr, le secteur du très haut de gamme n’est pas en reste.
Cette crise renforce la stratégie « think global, act local » avec le besoin émergent de faire mieux vivre l’environnement local pour tirer profit de l’offre culturelle et des infrastructures.
Enfin, la crise des vocations repositionne avec force le « S », de l’ESG, en posant des questions nouvelles sur les conditions de travail des fonctions les moins qualifiées.
Les changements majeurs initiés par la crise impliquent l’imagination de nouveaux modèles de croissance.
La divine transformation
Le spectre de « se transformer ou mourir » est une pression à fragmentation lente. Cette crise est un défi à l’imagination.
En état d’urgence, certains acteurs ont développé la "staycation" pour offrir un moment de respiration aux locaux qui souhaitaient se sentir en vacances alors que le voyage était impossible ou changer tout simplement d’espace grâce au co-working, dans des chambres réaménagées ou pas.
Ensuite, l’achat du voyage digital, haut de gamme en particulier, s’est massivement restructuré pour compenser la désaffection des agences de voyage physique. De nouvelles réflexions sur le parcours client ont émergé pour offrir un sentiment de sécurité et de flexibilité dans un contexte d’insécurité sanitaire et d’incertitude mondiale.
Soudain, l’écosystème est devenu agile. Un retour en arrière est-il possible ? Rien n’est moins sûr.
La bascule digitale est devenu un pivot utile et nécessaire pour soutenir la faible activité, en dépit des quelques pics, aux rares moments d’accalmie offerts par le virus.
Faut-il réguler les flux pour mieux répartir les voyages à travers le monde et alléger la pression touristique de certaines destinations ? Comment basculer dans l’expérience digitale, tout en réduisant la pollution numérique ?
Comment un acteur tel que Voyageurs du Monde va-t-il maintenir son approche sensorielle du voyage qui commence dès la prise d’information, avec l’augmentation exponentielle du digital dans le processus de vente ? Comment ce même Groupe va-t-il réinvestir le local français et européen pour compenser la chute vertigineuse du chiffre d’affaires dans les régions Asie et Amérique, sachant que les pertes liées à la baisse de la clientèle asiatique et américaine représentent près de 13 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020 ?
Quels relais de croissance pour quel modèle ? Au-delà de l’offre naturelle food et hospitalité, certains acteurs tels que le Groupe Accor se positionne massivement sur une stratégie lifestyle avec une vraie diversité de l’offre jusqu’à l’entertainment parfaitement illustré par le récent achat du Lido, le networking avec la restructuration d’Accor Arena vers une offre privative et inédite et le lancement d’une plateforme de flex-office pour accompagner le co-working.
Comment la filiale d’Air France - KLM, Transavia va-t-elle redéfinir son modèle économique, en évoluant vers une offre décarbonée, tout en maintenant sa politique de prix abordables ?
Et surtout, quelle excellence d’exécution pour emporter l’adhésion du plus grand nombre ?
Le prix du rêve responsable
Et justement, comment imaginer que l’ensemble de ces transformations puissent se réaliser sans que le citoyen-consommateur, qui n’hésite plus à faire du "name and shame" sur les réseaux sociaux, soit associé en termes de coûts ?
Consommer autrement a un prix.
Voyager moins, mais mieux peut signifier moins souvent et plus longtemps ou encore de manière plus responsable, mais tout aussi souvent. Mais comment raisonnablement penser que le budget du voyage n’en sera pas impacté ? Est-ce vraiment aux acteurs de faire tous les efforts ?
Il y a également l’équation temps : privilégier le train aux dépens de l’avion peut avoir un impact significatif sur la durée du voyage. Est-ce à dire que tous les voyageurs seront cohérents, au point d’accepter ce compromis tout à fait green ? Et sur place faudra-il se déplacer à vélo, en voiture électrique ou avec les transports en commun ?
Et quel comportements adoptés en vacances ? Quels sont les bons réflexes, les bons gestes ?
La pression du consommateur pour les prix les plus bas est une injonction paradoxale adressée au marché. Quelle est la cohérence à demander un prix industriel, en voulant par ailleurs avoir une expérience personnalisée et unique précisément par qu’elle éveille les sensorialités ?
La transparence de l’empreinte carbone devrait impliquer la décence de la demande, au moins de la part de ceux qui exigent des efforts inconsidérés, mais nécessaires, aux entreprises.
Pour réussir le voyage responsable, les responsabilités et les efforts doivent être partagés ; cette dualité de la durabilité est le prix de nouveaux modèles de voyage soutenables. Le client doit accepter d’embarquer dans un nouveau modèle et d’en payer le juste prix.