Dossier Entreprendre
Beyond Tech
Publications — il y a 1 année
❛Le futur est plus rapide que vous ne le pensez.❜
Pourquoi la Silicon Valley refait le monde ? En près de vingt ans, nous avons vu des start-up devenir des multinationales plus puissantes que des États ; nous avons découvert le mot disruption, en même temps que des entreprises disparaissaient ou étaient durablement menacées et affaiblies. C’est ainsi que nous nous sommes habitués à regarder le monde changer sous l’influence de quelques entreprises dirigées par des entrepreneurs visionnaires et/ou missionnaires qui veulent imposer leur vision du monde au monde entier.
Quel est le secret de l’entrepreneuriat américain, en particulier de la Silicon Valley ? Pourquoi la French Tech n’arrive-t-elle pas à rivaliser ? Qu’est-ce qui n’a pas été compris ou mal ? En dépit de l’argent disponible, nous n’arrivons pas à concurrencer sérieusement Google, Apple, Amazon, Facebook, LinkedIn, Tesla, Space X, mais aussi Nike, etc. Il n’y a guère que dans le luxe que nous arrivons à créer la tendance.
En Californie, il y a une « secret sauce » culturelle qui mixe avec générosité et férocité différents marqueurs identitaires.
Le mindset
La Silicon Valley raconte que l’entrepreneuriat est d’abord un état d’esprit. Cela démarre souvent avec des hypothèses qui n’hésitent pas à défier l’ordre établi. Il n’y a pas de complexe car l’idée que tout est possible fait partie de l’ADN américain ; la grandeur, la folie, le jeu, la confiance et le risque font partie de l’aventure ; l’échec aussi car de nombreuses réussites sont le legs d’une série de défaites. Et ce n’est pas grave tant que l’énergie du rebond est présente. Par exemple, près de 90% des start-up disparaissent au bout de cinq ans, sans que cela ne remette en cause le principe même d’entrepreneuriat. Et il semblerait que ce ratio soit identique chez différentes start-up dont la dynamique de créativité repose sur un mouvement incessant de test & learn et d’échec rapide. L’enjeu est d’éliminer sans perdre de temps ce qui ne fonctionne pas ou est tout simplement inutile.
Le juge de paix, c’est le talent et la crédibilité qui définissent le socle de confiance des détenteurs du capital. L’état d’esprit nourrit l’écosystème.
L’écosystème
Le système tient sur la discipline des individus pour apprendre et innover. Les salariés de ces start-up sont en alerte permanente pour maintenir un bon niveau de connaissances. Ils participent à des projets de type hackathon, pensent méthodiquement leur carrière, sans rien sacrifier à l’opportunisme, et se forment régulièrement pour augmenter leur niveau d’expertise.
L’apprentissage est proactif et se met quasi instantanément au service de l’innovation qui n’a aucune retenue pour challenger les statu quo dans le cadre d’un processus de création méthodique ou par le spectre de la sérendipité.
Cet écosystème entretient sa vitalité, en s’appuyant sur un réseau d’incubateurs qui soutient telle ou telle start-up selon le secteur d’activité, de mentors très variés et des collaborations dont l’arc de l’inédit peut être très important. Cette stimulation permanente cultive le talent, voire l’excellence, et favorise le financement mutualisé du risque grâce à une culture intensive de fusions-acquisitions, incluant l’acquisition de talents. Nous parlons de 87 milliards de dollars de venture capital au service d’un entrepreneuriat qui répond à un certain nombre de critères.
L’excellence est par ailleurs stimulée par la proximité avec les universités de premier plan (Ivy League) et les agences gouvernementales (Pentagone, NASA, etc.). Cette équation permet d’élever le niveau régulièrement et d’encourager les entrepreneurs à avoir une gouvernance disciplinée et articulée autour de la raison d’être, des valeurs et de la culture d’entreprise afin d’attirer les meilleurs talents et les financements les plus importants.
La culture
La culture entrepreneuriale répond à des codes très précis dont l’énoncé des règles du jeu. Et c’est un avantage très sérieux qui repose sur une communication synthétique, claire, précise et argumentée avec des données ; tout cela résumé dans une belle histoire inspirante.
Cette inspiration répond elle-même à un code de conduite ; le respect, la confiance, la ponctualité, et la transparence sont des règles qui permettent à tout le monde d’avoir les clefs pour jouer, même si les atouts ne sont pas les mêmes. Et le temps est une valeur cardinale qui ne souffre aucun gâchis. C’est sans doute à la lumière de ces éléments que nous pouvons comprendre pourquoi Elizabeth Holmes (Theranos) est en prison ; ce qui lui est reproché, n’est pas l’échec, mais les mensonges et l’abus de confiance pour obtenir des fonds auprès d’acteurs expérimentés et de premier plan, dont certains très puissants.
C’est un écosystème sans pitié, mais addict à la singularité, à la liberté et à l’enthousiasme. Les américains, et encore plus la Silicon Valley, aiment les mavericks, les cascadeurs de l’esprit et des idées qui n’ont pas froid aux yeux et refusent de plier par principe face au système.
Ce système est cohérent car il soutient financièrement et émotionnellement ceux qui osent le plus dès lors qu’il y a une cohérence d’ensemble dans le récit et dans les données. C’est la raison pour laquelle des aventures entrepreneuriales extraordinaires arrivent à exister. La culture californienne sait saisir les opportunités et inventer demain, en produisant un changement radical si possible.
Changer le monde n’est pas une perspective qui les met mal à l’aise et ils n’ont pas peur de l’affirmer sans rougir ; tous n’y arrivent pas, mais certains le font et personne n’est dupe sur la place du travail dans la réussite.
Le travail
Le travail est une valeur essentielle et non-négociable de la Silicon Valley. Les entrepreneurs et leurs équipes travaillent comme des brutes. La collaboration est ouverte et relativement inclusive, à la condition d’être intelligent, créatif et de créer de la valeur. Les américains ne sont pas impressionnés par la brillance et l’excellence ; ils ne se sentent pas menacés et ne les écartent pas de leur chemin ; au contraire, ils s’arriment à elles pour s’augmenter collectivement. Ils sont curieux et tournés vers la résolution de problèmes ; ils essaient, échouent, creusent le sujet d’une autre manière, de mille et une manières, en vérité ; on pourrait parler d’une sorte d’endurance agile qui cherchent par ailleurs à détecter les signaux faibles.
Et au centre, toujours est le client ; la recherche de la meilleure expérience client est un objectif courant et indiscutable du rapport au business des américains. Le client est dans les têtes et dans les décisions car ils sont tout à fait lucides sur la valeur d’un portefeuille de clients satisfaits. Ils pensent émotions, rapidité, simplicité, fidélité et communauté. Le client a une voix.
Ce style de travail puise également de l’énergie dans les liens faibles.
Les liens faibles
La Silicon Valley est aussi ce qu’elle est grâce à la nature des relations. Olivier Alexandre parle de liens faibles ; toutes les occasions sont bonnes pour être constructives : des rendez-vous, aux collaborations, aux rencontres, en passant par les masterclass, les meet-up, les évènements, jusqu’au burning man. Il s’y partage des informations, des conseils et les contacts se transforment en relais, introductions, recommandations, alliés, partenaires financiers ou autres, parfois association, etc.
C’est sans doute un des atouts maîtres de l’écosystème entrepreneurial de la Silicon. Valley : l’accessibilité des gens ; cela ne signifie pas qu’il ne faille pas faire d’effort pour accéder à des acteurs clefs du milieu, mais c’est possible car les gens sont conscients de la richesse des gens.
Le sytème est cynique, brutal, transactionnel, mais il est intelligent. C’est un monde qui vibre au rythme des technologies, sans oublier la richesse portée par les individus, tout en polarisant les esprits sur la place des technologies dans le monde ; doivent-elles augmenter les humains ou tout simplement les remplacer ? Larry Page, co-fondateur de Google, semble être à l’aise avec la disruption totale de l’humanité tandis qu’Elon Musk, en dépit de sa brutalité légendaire, assume d’être pro-humain.
En conclusion
Ce monde est passionnant, challengeant et les gens grandissent ; ils créent, tombent, échouent, recommencent et le système ne les condamne que si la pompe à créativité est en panne ; le mensonge est toléré, jusqu’à un certain point et s’illustre par le désormais célèbre axiome : « fake it till you make it » ; L’essentiel est de savoir « jusqu’où aller trop loin » pour reprendre la philosophie de l’Université de Stanford,
Il ne s’agit pas de dire que le sytème américain est parfait, mais le résultat parle de lui-même ; nous courrons après leurs innovations, sans y arriver, puis nous utiliser la commission européenne pour nous protéger, tout en méconnaissant les règles du jeu. La récente affaire Fiona Scott-Morton, économiste évincée de la Commission Européenne, illustre bien nos limites. Dans une récente interview donnée au Telegraph, elle explique ceci : « Les gouvernements ont le choix. Ils peuvent embaucher quelqu’un qui n’a jamais fait de travail de consultant auparavant. Autrement dit, une personne à qui il manque certaines connaissances pratiques [...]. Si vous voulez quelqu’un qui a ces connaissances pratiques, alors [cette personne] doit avoir fait ces missions de conseil, et avoir ce conflit » d’intérêt, prévient-elle.
Nous nous tirons régulièrement des balles dans le pied avec arrogance car nous cultivons un entre-soi mortifère qui se défend de l’être, alors même que nous prônons une inclusion hypocrite. En France, les liens se définissent par les diplômes avant les résultats, et les origines sociales avant l’intelligence et la créativité. Nous rétrécissons fièrement notre monde sans voir et comprendre que nous creusons nous-mêmes notre tombe de demain, à force d’ignorer les gens différents qui pensent différent et ont la capacité de contrarier les statu quo des habitués autour de la table, pétris de leurs certitudes académiques et claniques.
Alors c’est bien d’entreprendre dans la tech et de copier les américains, mais encore faut-il comprendre que la recette n’est pas réductible à l’argent ; la clef est de faire vivre humainement le système, avec gourmandise, curiosité et un véritable goût pour l’excellence qui n’a pas peur de l’ouverture à la différence car le génie est là-bas et ailleurs.
Nicole Degbo
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La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.