Gouvernance
29,9 % : ni l’art, ni la manière
Actualités — il y a 3 années
Voilà un rapprochement qui a tous les attributs d’un mariage forcé.
Veolia | Suez | Engie : trois entreprises au cœur d’un OPA dite amicale, mais vécue comme hostile par les principaux intéressés.
Voilà un projet de fusion qui s’est mal enclenché dès le départ ; d’un côté sans doute un excès de confiance, d’un autre un besoin évident de trésorerie et, à l’autre extrémité, un acteur qui a manqué d’anticipation stratégique, sans parler de l’État qui a apporté un soutien ferme à l’initiative, puis de plus en plus mou.
Le Groupe Suez ne semblait donc pas prêt à subir une OPA de cette nature, en dépit d’un recentrage stratégique (énergies renouvelables, infrastructures gazières, réseaux urbain de chaleur ou de froid) annoncé par Engie, à la fin du mois de juillet. Cependant, les prises de position habituelles d’Antoine Frérot, PDG de Veolia, sur le management, la gouvernance et l’humain ne laissaient pas non plus présager qu’il partirait à l’assaut d’un groupe, sans l’art, ni la manière.
A priori, l’échange a été à l’économie et le volet humain a été inconsidéré ; tout au plus, Veolia a pris soin de trouver un repreneur pour la filiale Suez Eau France, sans doute afin de s’assurer du soutien de l’Etat.
Mais cela s’est fait sans concertation avec Suez et dans le cadre d’une conversation finalement assez sommaire avec Engie. Ce qui se joue ici, c’est le désir de Veolia d’acquérir Suez en deux séquences : le rachat de 29,9% des actions Suez détenues par Engie, puis l’acquisition pure et simple du Groupe Suez.
Qui connait le projet stratégique de Veolia ? Pour l’heure, nous avons juste l’impression d’un monopoly à 9 chiffres ; et tout projet qui consiste à escompter un 1 + 1 n’est pas en soi une stratégie ; c’est une addition complexe et pas nécessairement gagnante ; bien au contraire, si le projet stratégique et humain n’est pas piloté au moyen d’une mise à plat de la gouvernance globale.
Peser un groupe de 40 milliards en faisant une addition et devenir ainsi le grand champion mondial français de la transformation écologique est une ambition intéressante, mais insuffisante telle que documentée aujourd’hui. Sinon, comment expliquer l’action défensive de Suez qui vient de placer sa filiale eau dans une fondation aux Pays-Bas ? Et que dire de la bronca solidaire des salariés et des syndicats qui ne voient en cette OPA qu’une menace ?
La taille peut être un enjeu, mais c’est souvent un faux sujet ; il suffit de regarder la puissance mondiale des GAFA pour comprendre que ce n’est pas le cœur du problème. Aussi, invoquer la dynamique de concentration mondiale et agiter le chiffon rouge de la Chine pour justifier l’accélération d’un calendrier qui aurait pu prendre plus de temps n’est pas très convaincant, à moins qu’un péril caché guette et mette en cause la viabilité de Veolia ?
De plus, nous avons tous lu différents indicateurs qui confirment que près de 70% des fusions, sinon plus, échouent à cause du facteur humain. Alors, comment expliquer cette précipitation au mépris d’un véritable projet partagé par l’ensemble des parties prenantes ? Comment penser que la perspective de grossir puisse à elle seule constituer un projet qui produise suffisamment de sens pour embarquer les équipes ?
C’est la première grande manœuvre du genre « du monde d’après » et inutile de dire que personne ne semble avoir appris quelque chose du passé. L’injonction à faire différent, à penser mieux l’humain et le soin, à témoigner de la considération envers l’élite de base est tombée aux oubliettes. Nous assistons à des ficelles d’un très vieux monde obsolète qui a le cuir épais, sur fond d’intermédiation par voie de presse.
Cette histoire signe la défaillance de la gouvernance des uns et des autres. ENGIE n’a pas beaucoup appris de sa dernière tempête dont le point d’orgue a été le limogeage d’Isabelle Kocher avec la violence que tout le monde sait ; Veolia se comporte comme un mercenaire des temps anciens au nom d’un vieux rêve ; nul doute que cette agressivité perçue par tous laissera des traces et qu’Antoine Frérot n’en sortira pas grandi. Quand à Suez, l’entreprise montre une vulnérabilité stratégique que les dirigeants seraient bien inspirés d’adresser rapidement.
Il va sans dire que toute fusion qui se déroulerait dans ce type de contexte et de climat ne laisserait rien présager de bon, ni à court, ni à long terme.
Il faut ainsi espérer que toute velléité de leadership hégémonique saura se retrancher derrière la construction d’un projet qui réussira à hisser le collectif au-dessus des ego et des ambitions individuelles. Une fusion n’est jamais la bonne solution lorsqu’elle n’est qu’un sparadrap en guise de réponse à une panne réflexive, stratégique et créative.
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La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.