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Travail - Société - France - La Cabrik - Enquête Fondation Jean Jaurès x Ifop - Entreprises - Dirigeants - Salariés - Santé mentale - Motivation - Télétravail -

Enquête Fondation Jean Jaurès x IFOP

À bout ou au bout ?

Édito — il y a 1 année

"Les choses sont ce qu'elles sont et elles seront ce qu'elles seront." Jonas Jonasson

En partenariat avec l’Ifop, la fondation Jean Jaurès vient de sortir une enquête qui titre : « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des français a mis les pouces. » Le titre est choc, mais est-ce bien là la seule vérité ? 

L’arc narratif de l’enquête parle des troubles du stress post-traumatique du confinement lors de la crise sanitaire qui aurait aggravé les sentiments de peur, d’angoisse et de pression vécus par les français lors de différents événements : attentats, grèves, soulèvements populaires, etc. 

Il fait tranquillement l’impasse sur les changements du monde qu’un grand nombre de français ne comprennent pas et pour lesquels ils se sentent impuissants, au point de se démobiliser dans leur vie, incluant le monde professionnel.

Le point de bascule 

Nous parlons du phénomène de démission mentale comme s’il était nouveau alors que c’est un vieux sujet qui est devenu tendance outre-Atlantique car mis en scène par Tik-Tok. Comme à notre habitude, nous aimons à nous approprier le sujet, sans savoir si les raisons sont les mêmes. Les américains pointent la question des salaires et du manque de sens pour des fonctions peu qualifiées. En France, le sujet du salaire est bien présent, mais le procès du travail est beaucoup plus transversal. 

La grande fatigue pointée du doigt par les salariés épuisés par le système raconte l’ennui ressenti dans leur quotidien ; les salariés qui ont bénéficié du chômage partiel pendant la crise ont eu le temps de questionner la vacuité de leur existence professionnelle et surtout de retenir contre leur employeur le faible impact qu’ils ont sur leur travail. Le climat du travail est en cause ; trop de salariés dénoncent, depuis de nombreuses années, une organisation du travail absurde qui met en exergue le manque de confiance de leur hiérarchie, à travers la faible autonomie ressentie qui se traduit par une absence d’influence sur les objectifs et la prise de décision attenants à leur poste. 

La société est, de fait, traversée par un questionnement profond et existentiel sur le travail dans un contexte où la transformation est perçue comme une injonction paradoxale dans des organisations qui démontrent trop souvent, aux yeux de leurs salariés, un imaginaire en ruine. Aussi, peu de salariés croient dans la capacité de leur entreprise à réussir les transformations nécessaires. Et ce faux-semblant crée une pression sur la santé mentale. L’enquête parle d’une recrudescence des arrêts maladie avec s’agissant des arrêts longs, une augmentation des motifs relatifs à l’épuisement professionnel ou à des troubles psychologiques. Sans parler d’une perte de patience collective aggravée par une augmentation de l’agressivité ambiante. 

Ce climat de fractures multiples pourrait nourrir un nouveau mode de vie : le "digital sédentarisme" ; cela consiste à consommer grâce à de nombreuses applications digitales qui offrent désormais à chacun la possibilité de se protéger de la violence du monde, en restant chez soi ; c’est alors, le triomphe du « chez soi » : nourriture, cinéma, sport, rencontres, loisirs, consultation médicale,  sexualité, etc. Presque tout peut être vécu à distance. C’est l’émergence d’une autre vie qui offre au plus grand nombre l’opportunité d’avoir un assistant digital pour chaque usage. 

C’est le début d’un nouveau monde. Notre enjeu est donc de savoir si nous consentons à cette mutation ou si nous préférons réhumaniser notre société qui est programmée pour poursuivre inexorablement ce mouvement vers une proxémie de plus en plus hybride et « driver » par la machine. C’est une dystopie sociale fort bien racontée dans la série « Black Mirror ».

Un nouveau monde du travail 

L’enjeu des entreprises n’est pas de suivre le mouvement, en donnant par ailleurs le sentiment de le subir, mais de se poser des questions quasi ontologiques sur le rôle de l’entreprise dans la société, la mission de leur organisation et la valeur du travail qui régit les relations avec les salariés. En dépit des troubles du travail, nul ne peut parler ici d’évidence car il n’en est rien. 

Par exemple, le télétravail semble avoir échappé aux dirigeants tant il semble diluer la motivation au travail. En effet, l’enquête souligne la contraction du temps de travail pour les périodes 2020 vs 2021 ; cela fait 214 heures, soit l’équivalent d’une semaine de plus gagnée en congés de manière implicite. Les lundis et les vendredis sont désormais télétravaillés, même si certains patrons considèrent que ce sont presque des journées chômées, au profit de la sphère personnelle et des loisirs, en particulier. C’est pour cela que le mouvement de certains patrons américains qui réduisent la part de télétravail dans l’entreprise est à prendre au sérieux. Il y a des vraies réussites, mais aussi de nombreux échecs et cela tient sans doute à la manière dont l’entreprise pense la valeur travail au cœur de son organisation. Le télétravail est trop perçu, à tort, comme une simple modalité de travail, alors qu’il est un instrument de flexibilité du travail qui doit s’inscrire dans le cadre d’une culture du travail sérieusement réfléchie en amont. 

Ce triste bordel qui a pour théâtre, le travail, explique l’impression d’une perte de motivation car elle ne peut qu’exister, de fait ; mais cela est un symptôme de l’absence de réponses apportées par la société et les entreprises. 

Et la nouvelle génération est au premier rang pour demander des comptes. C’est une génération désenchantée avant l’heure ; elle n’a pas été bercée par de grandes découvertes ou de grandes sensations : pas de trente glorieuses, pas de marche sur la lune, pas d’artistes extraordinaires, pas de siècle des lumières, mais des géants technologiques qui dominent et redessinent le monde. C’est une génération qui se voit vouée aux ténèbres dont l’eco-anxiété est le symbole magnifique. En effet, près de 20 à 30% de la population française reconnaît souffrir de ce mal du siècle. 

Alors, à défaut de trouver des réponses convaincantes et d’avoir le sentiment que la société se mobilise pour construire un nouveau récit face à un avenir moins prometteur que par le passé, les uns et les autres, mais pas tous, se tournent vers la vie ; ils la réinvestissent considérant que la faible qualité de leur vie professionnelle ne vaut pas le sacrifice de leur vie personnelle. 

Ce n’est pas fou comme attitude, au contraire, c’est très rationnel. Mais, c’est aussi le signe d’un grand désespoir que nous aurions tort de résumer à une flemme d’un nouveau genre. Ce n’est pas une « chill » génération, mais une jeunesse aux espoirs perdus qui manifestent sa colère par un désengagement visuel, bruyant et, malheureusement pour certains, la radicalité d’une forme de violence est une réponse. 

Face à cela, la société économique, politique et médiatique a l’ardente obligation de se poser les bonnes questions pour ne pas réduire le débat à des problématiques qui ne seraient pas à la hauteur. Notre société s’affaisse et l’effort se démobilise car le récit collectif n’apporte aucune réponse au monde VUCA (volatil, incertain, complexe, ambiguë) et c’est une chose autrement plus grave que la paresse pointée dans cette enquête car beaucoup de gens sont certes à bout, mais le système est arrivé au bout de ses limites. 

 

Nicole Degbo

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La Cabrik est une fabrik de gouvernance stratégique et humaine qui accompagne les transformations pour relier l'économie à l'humain et est spécialiste des situations de crise de gouvernance.

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